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C’est moins, une capitation qu’il propose qu’un impôt général fixé au quinzième sur tous les revenus : « le dixième lui paraît trop rude, et le vingtième trop faible. » Par des calculs compliqués et reposant sur la connaissance qu’il croit, depuis longtemps, avoir acquise de la fortune publique et de la fortune privée, il en évalue le produit à 60 millions. L’assiette et la perception en devront être confiées à des gens de bien, éclairés, qui ne s’occuperont que « d’observer la justice dans une imposition qui ne saurait être assez proportionnelle aux facultés des contribuables ; évitant surtout de tomber aux mains des traitans, qui sont les destructeurs du royaume. » Mais il entend qu’on supprimera presque tous les impôts établis, et notamment la taille : il ne conserverait que la taxe sur le sel en la réduisant à 20 livres le minot, et en rendant le commerce et la consommation libres ; l’impôt sur le vin, au cabaret, « parce que le poids ne tomberait que sur ceux qui en mésusent ; » les douanes extérieures, « à cause des marchandises étrangères ; » les eaux-de-vie et le tabac, « à cause du mésusé ; » le papier timbré, « pour la punition des plaideurs ; » un impôt sur le thé, le café, le chocolat ; les postes modérées d’un tiers ou au moins d’un quart. Il supprime les douanes intérieures, « qui rendent les sujets étrangers les uns aux autres, et ne sont bonnes qu’à empêcher le commerce… … Sa Majesté y trouvera son compte et ôtera le moyen à 200,000 fripons de continuer à s’enrichir aux dépens d’une infinité de pauvres gens. » Mais si ce projet est utile, « il y va de l’honneur du roi et de la conservation de la maison royale, de le faire cesser à la paix, attendu que c’est peut-être un des derniers efforts de son autorité sur la liberté de son clergé, de sa noblesse, de ses peuples ; et que si on veut bien prendre garde à la conduite de tous les grands états du passé, on trouvera que, quand ils ont poussé la liberté de leurs sujets à l’extrémité, tous s’en sont mal trouvés, et la plupart ont péri[1]. »

Ces idées de Vauban étaient trop hardies et trop nouvelles pour être adoptées par le gouvernement de Louis XIV. Une déclaration du 18 janvier 1695[2] établit la capitation, mais elle conserva les impôts existans. Le roi rappelle à la nation que, pour repousser les attaques des puissances de l’Europe, « que la gloire de son état et la prospérité dont le ciel « béni son règne » ont engagées à se liguer pour lui faire la guerre, il a aliéné des rentes et créé des charges ; « si ensuite il a été obligé de pratiquer quelques autres moyens plus à charge à ses peuples, ce n’a été que par la nécessité de

  1. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, app., p. 561.
  2. Ibid., p. 565.