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de la nature, avec des caractères contraires, bien qu’elles soient toutes deux d’une substance commune, et comment elles retournent ensuite à cette substance dont elles sont émanées. Mais je procéderais par la synthèse au lieu de procéder comme je le dois, par l’analyse. Je vous enseignerais peut-être des choses vraies, mais je vous les enseignerais mal. L’analyse doit conduire à la synthèse ; mais la synthèse ne conduirait pas à l’analyse. »

Il est bien évident que c’est la doctrine de Schelling, la doctrine de l’identité, qui est enseignée ici, ou du moins annoncée par anticipation et ajournée seulement par scrupule de méthode. La distinction de l’homme et de la nature, la distinction des trois facultés, toute différence en un mot, n’était posée que provisoirement avec promesse de réduction ultérieure à l’unité. C’est encore la doctrine qui résulte des leçons suivantes. Si nous en croyons une note de notre manuscrit, « quatre leçons paraissent surtout représenter l’essence du système, ce sont : la 8e, la 9e, la 10e et la 11e. Elles présentent le développement ascensionnel de l’amour, de l’activité volontaire, de la raison, et, par la dialectique, nous conduisent de degré en degré à-.la vérité suprême, à la beauté absolue, au souverain bien, c’est-à-dire jusqu’à Dieu. Ainsi la psychologie conduit le philosophe jusqu’à la religion, devant laquelle il s’arrête avec respect. » De ces quatre leçons, trois sont entièrement inédites ; la première seulement, qui traite de l’amour, était déjà dans la publication de 1841, mais incomplète et mutilée. Il en manque au moins la moitié, et la plus caractéristique. Dans la leçon publiée, en effet, Cousin se contentait, de placer l’amour pur au-dessus de l’amour des sens, et s’arrêtait au platonisme ; mais dans notre manuscrit il va beaucoup plus loin et du platonisme il passe à l’alexandrinisme ; c’est ce qui résulte du passage supprimé que voici, et qui est d’une assez grande audace pour la forme et pour le fond.

« L’amour, dit-il, tend à la mixtion la plus intérieure de la faculté d’aimer avec son objet, de l’essence qui désire avec ce qui est désiré. Or, cette mixtion dans la sensibilité (physique) est impossible. L’espace est toujours condamné au vide comme au plein. Tout se touche, rien ne se confond, et toute mixtion dans la matière est impossible. Voilà pourquoi, à la suite de l’extase amoureuse, la conscience sent et dit qu’il n’y a pas eu mixtion et que l’amour a manqué son objet. Quant à l’amour rationnel, il est beaucoup plus intime à son objet que l’amour sensible ; mais quelle que soit cette intimité, elle n’est pas encore l’identité. Nous ne faisons pas que la vérité soit nous et que nous soyons la vérité ; et, quelque près que nous soyons d’elle, nous ne pouvons parvenir à la confondre avec nous-mêmes ; dans le monde physique, l’amour veut se faire un avec son objet ; l’amant veut se détruire pour ne vivre que dans l’objet aimé ; il ne peut y