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rencontré que ses adversaires. Hegel lui-même était fort peu partisan de l’intuition intellectuelle. D’un autre côté, si l’on compare cette théorie avec celle de 1817, résumée dans le Programme de cette année, antérieur au voyage d’Allemagne, on voit que si cette théorie ne s’y trouve pas en termes explicites, elle y est du moins toute préparée : « L’absolu, disait-il en 1817, apparaît à ma conscience, mais il y apparaît indépendant de la conscience et du moi. Un principe ne perd pas son autorité parce qu’il apparaît dans un sujet ; de ce qu’il tombe dans la conscience d’un être déterminé, il ne s’ensuit pas qu’il devienne relatif à cet être. — Nous croyons à l’absolu sur la foi de l’absolu, à l’objectif sur la foi de l’objectif. » On voit de combien il s’en fallait peu alors que la théorie précédente se condensât et se formulât. Que le voyage d’Allemagne ait’ été l’excitant qui a poussé en avant la pensée spéculative de Victor Cousin et qui a provoqué l’éclosion du germe, nous le croyons, mais il ne l’a pas produit ; et la théorie de l’aperception, quelle qu’en soit la valeur intrinsèque, doit être considérée comme le résultat d’un développement parallèle à celui de Schelling, mais non dérivé.

La théorie de l’aperception pure n’épuise pas, à beaucoup près, toute la théorie de la raison, telle que l’a donnée Cousin dans la première partie de son cours. Il y aurait encore à signaler un grand nombre d’autres points intéressans : la réduction de toutes les catégories à deux, la substance et la cause, ramenées elles-mêmes à l’opposition de l’être et du phénomène, de l’infini et du fini ; — la distinction de l’actuel et du primitif, de la conception concrète ou de la conception abstraite des premiers principes ; — la distinction de deux espèces d’abstractions : l’abstraction médiate ou comparative qui forme les vérités générales par la comparaison de plus en plus nombreuse des cas particuliers, et de l’abstraction immédiate qui, d’un seul cas individuel, tire l’universel ; — la théorie de l’amour, qui correspond dans ses différens degrés à tous les degrés de la raison ; — enfin l’antinomie de la causalité et de la liberté résolue par le principe de substance mis au-dessus du principe de causalité. Sans insister sur toutes ces théories, nous devons, pour compléter l’intelligence du système, considérer encore par un autre endroit la métaphysique de Victor Cousin.

Le principal service, avons-nous dit, rendu par Cousin en 1818 a été de ramener en France la métaphysique, si discréditée par la philosophie du XVIIIe siècle. Un autre service non moins important a été encore d’introduire ou de rappeler en métaphysique un élément nouveau ou du moins oublié : la notion de l’idéal, l’élément platonicien. La philosophie française, en général, a été peu platonicienne ; aucun des maîtres de Cousin n’était platonicien, ni Laromiguière, ni Royer-Collard, ni même Maine de Biran ; Voltaire,