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sur la croyance (c’est-à-dire sur l’impossibilité de nier), il faut établir la croyance sur la vérité. Il faut donc qu’il y ait un état primitif antérieur à la nécessité d’affirmer : cet état est ce que Cousin appelle H l’aperception pure de la vérité ; » cet état est très difficile à saisir par la conscience ; il passe comme un éclair, mais on peut l’induire de ce qui est donné ; on peut encore le retrouver dans le souvenir.

Pour établir l’existence de cette aperception pure, Cousin donnait une théorie profonde du jugement. Il y a deux sortes de jugemens : affirmatifs et négatifs. On dit souvent que les jugemens négatifs sont affirmatifs ; cela est vrai, mais, ce qui n’est pas moins vrai, c’est que le jugement affirmatif est en même temps négatif ; car, lorsque j’affirme qu’une chose est vraie, j’affirme par là même que le contraire est faux, c’est-à-dire que je nie ce contraire ; on peut même dire qu’on n’éprouve le besoin d’affirmer que lorsque la vérité a été niée d’abord soit par nous-mêmes, soit par autrui. L’affirmation suppose le doute. C’est après avoir essayé de mettre une vérité en doute que je dis : Non, cela n’est pas douteux ; la chose est comme je la vois ; elle est, je l’affirme. L’affirmation, ou jugement réfléchi, est donc « le résultat laborieux de deux négations[1]. » C’est à ce moment qu’apparaît la nécessité de la croyance ; une croyance nécessaire est une croyance qui résiste à l’épreuve du doute. C’est le même critérium que M. Spencer a proposé sous cette forme : « l’inconcevabilité du contraire. » Un tel critérium est tout subjectif ; si l’on s’en tient là, les principes ne sont plus que les formes de l’entendement, les lois constitutives de l’esprit humain. Mais ce caractère de nécessité correspond, on l’a vu, à un état ultérieur de l’esprit, à l’état réflexif : c’est la réflexion qui introduit la subjectivité dans la connaissance. Avant cette période de subjectivité et de réflexivité, il doit y avoir un état antérieur, un acte qui ne se met pas lui-même en question, un acte spontané. C’est donc encore dans la distinction de la spontanéité et de la réflexion que Cousin trouve la solution du problème de l’objectif. C’est seulement lorsque cette aperception première vient à être combattue et contestée, que l’intelligence étonnée se donne elle-même pour preuve de la vérité. C’est alors, mais alors seulement, qu’apparaissent les formes subjectives de l’entendement, les catégories.

  1. Programme de 1818 (Fragmens, page 281). Cette théorie, aussi solide qu’ingénieuse, se vérifie parfaitement sur le Cogito, ergo sum de Descartes. C’est après avoir tout mis en doute et essayé de douter du Cogito que Descartes ajoute : « Mais il est impossible que je ne sois pas, moi qui pense. » On voit que c’est la négation d’une négation ; et c’est en cela que consiste l’affirmation réfléchie ; mais n’est-il pas vrai que cette affirmation réfléchie suppose une affirmation spontanée, antérieure au doute ?