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Grâce à ces ordres, sévèrement exécutés, la sortie s’opéra dans la nuit du 16 au 17 décembre avec une facilité qui tient véritablement du prodige : 11,000 hommes d’infanterie, 3,000 de cavalerie grosse ou légère, 30 pièces de campagne et tout leur attirail, environ 300 voitures et 6,000 mulets ou chevaux de bâts, portant des cartouches et des pierres à fusil pour l’infanterie, des provisions de pain, de riz, de lard et d’eau-de-vie pour six jours de route, du foin pour deux et de l’avoine pour quatre, le trésor, les ambulances, un nombre de bœufs suffisant pour une distribution journalière d’une livre de viande par homme pendant toute la durée présumée du voyage, telle fut, d’après l’énumération de Belle-Isle lui-même, la formidable procession qui traversa les remparts la nuit et fit trois heures d’une traite sans être aperçue, pour arriver au point du jour au rendez-vous où le général lui-même vint la rejoindre. Prague était ainsi évacué, comme on l’avait occupé, dans l’ombre et le silence d’une nuit d’hiver.

Le moment était venu de faire prendre à cette masse énorme d’hommes et de transports un ordre de marche régulier conforme à la nature du terrain, qui ne lui permettait de se déplier que sur une seule colonne. C’est ici qu’est particulièrement reconnaissable le profit que Belle-Isle sut tirer discrètement des prescriptions de Folard. Presque toutes les dispositions dont il donne le détail lui-même avec complaisance, dans ses comptes-rendus, sont les mêmes qu’avait indiquées du fond de son cabinet le tacticien érudit, adaptées seulement, moyennant de légères modifications, à l’état particulier des lieux. C’est en application de ces avis que Belle-Isle plaça en tête de tout le convoi deux avant-gardes à la suite l’une de l’autre (chose, disait Folard, absolument nouvelle) : la première, chargée de reconnaître le terrain, d’aplanir les obstacles, de s’emparer des défilés ou endroits difficiles et suspects, où l’ennemi aurait pu se loger à l’avance, et composée, pour remplir cet office, de troupes de diverses armes, principalement de cavalerie, en état de soutenir un combat ; la seconde destinée seulement à préparer le campement dans les conditions ordinaires. La première avant-garde devait prendre une avance d’une marche entière sur l’armée, la seconde d’une demi-marche seulement ; mais la première avait’ pour instruction de céder toujours la place à l’arrivée de la seconde, pour se porter immédiatement en avant et garder ainsi constamment sa distance.

D’après la même inspiration, le gros de l’armée fut partagé en cinq divisions composées d’un nombre égal de brigades d’infanterie et de cavalerie et de pièces d’artillerie, formant ainsi chacune une unité complète, au centre de laquelle étaient placés les équipages