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Français tenaient encore garnison, entre autres de la citadelle de Leimeritz, qui capitula le 1er décembre. En fallait-il davantage pour faire comprendre à Belle-Isle que l’ennemi préposé à sa garde n’avait plus à craindre, ni d’être interrompu dans ses opérations, ni d’être inquiété sur ses derrières, et que les prisonniers, n’ayant plus rien non plus à espérer du dehors, n’avaient rien à attendre que d’eux-mêmes ?


IV

Le feu ayant ainsi cessé partout en Allemagne, ce fut sur Prague, devenu comme le dernier champ clos de ce long et sanglant duel, que se concentra toute l’attention et se fixèrent les regards de toute l’Europe. A Vienne, Marie-Thérèse comptait les jours et les heures, attendant l’instant désormais assuré qui lui amènerait, avec le triomphe de son droit, le complément de sa vengeance : c’était l’aigle d’Autriche elle-même, tenant déjà sa victime dans ses serres. Dans toutes les. cours et cités d’Allemagne, comme à La Haye, à Turin, à Saint-Pétersbourg, à Londres et partout, en un mot, où il y avait encore des partis en balancé, tout le monde retenait son souffle, chacun hésitant encore à croire avant l’événement qu’on pût voir ce fait inouï depuis tant de siècles : toute une armée française, commandée par un maréchal, se rendant à discrétion et traînée prisonnière sans ses drapeaux et sans ses armes.

En France, l’angoisse était au comble, sans pourtant, il faut le dire à la honte éternelle de la race frivole des courtisans, faire trêve à leurs vaines rivalités de cour : « Les ennemis de M. de Belle-Isle, écrivait le chargé d’affaires d’Angleterre, se réjouissent de sa situation…. ils demandent en riant comment il se tirera des difficultés présentes. Voilà l’homme, disent-ils, qui, pendant que M. de Broglie avait le commandement, l’accusait continuellement de ne savoir faire usage de ses forces et maintenant il se laisse enfermer comme lui,.. il a carte blanche pour tout essayer, et, au lieu de rien faire, il va commencer par capituler[1]. »

Heureusement pour l’honneur de la nation, il y avait encore, à tous les étages de la société, de vrais citoyens qui suivaient le cours des événemens en spectateurs, aussi passionnés, mais animés d’une curiosité de meilleur aloi. Dans le nombre, un document inconnu, qui a quelque prix, me permet de compter un homme dont le nom est familier à tous les amateurs d’écrits militaires,

  1. Thomson, chargé d’affaires d’Angleterre, à Carteret, 11 novembre 1742. (Correspondance de France. Record Office.)