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événemens lui en offraient l’occasion ; mais elle a pour sa part, elle aussi, les affaires d’Égypte, qui ne laissent pas de l’embarrasser. Elle a cru presque en avoir fini il y a quelques semaines, toucher au moment où elle allait pouvoir rappeler tout au moins une partie de son armée ; elle a été retenue tout à coup par cette insurrection du Soudan, qui menace de déborder dans la vallée du Nil. Elle reste provisoirement fixée en Égypte, où elle n’a rien fait jusqu’ici de bien brillant ni même de bien utile. Elle a de plus chez elle les affaires d’Irlande qui sont une perpétuelle difficulté, et si, avec tout cela, le ministère de M. Gladstone ne semble pas encore sérieusement menacé à la prochaine session du parlement, il peut avoir du moins des luttes assez laborieuses à soutenir contre ses adversaires, peut-être contre une fraction de son propre parti. L’Angleterre, avec sa puissance et sa liberté de mouvemens, ne laisse pas d’être sérieusement occupée de ses affaires, — assez occupée pour ne point désirer des complications extérieures, sur le continent.

Il y a eu certes dans ces derniers temps bien des nuages plus ou moins menaçans entre ces puissances jadis alliées, la Russie, l’Autriche, l’Allemagne. On l’a si souvent dit et répété, et on a paru même parfois en ressentir de si vives alarmes, qu’il faut bien un peu le croire ; mais le gouvernement du tsar a dans l’empire tant de passions révolutionnaires à contenir, tant de questions épineuses et redoutables à résoudre qu’il est sans doute peu impatient de se jeter dans une guerre aux proportions inconnues. L’Autriche, de son côté, à l’heure qu’il est encore, a toute sorte de difficultés dans l’intérieur de la monarchie, en Croatie, même en Hongrie, où les luttes politiques s’animent singulièrement, — et l’Autriche ne fait pas des guerres de coups de tête. L’Allemagne elle-même, si ombrageuse pour sa jeune puissance, a peut-être bien des raisons de tenir à la paix, et toutes ces propositions de réformes sociales, économiques ou fiscales, que M. de Bismarck vient de faire porter au Landtag de Berlin, à la veille des vacances parlementaires, sembleraient bien peu d’accord avec des projets de conflits à courte échéance. La réalité vaut quelquefois mieux que les apparences. Les apparences, dans la situation de l’Europe, sont assez confuses, assez désordonnées, nous en convenons ; la réalité des intérêts, des dispositions universelles est pour la paix continentale aujourd’hui comme hier, — et ce qu’il y a de mieux à espérer, à souhaiter, c’est que cette réalité reste dans l’année nouvelle ce qu’elle a été dans l’année qui finit.

Quelle est en tout cela la signification de ce voyage que le prince impérial d’Allemagne vient de faire à Rome après le voyage qu’il a fait à Madrid ? A juger les choses d’une façon générale, il est assez vraisemblable que l’Allemagne, par ce coup d’éclat, a voulu attester une fois de plus la prépondérance qu’elle prétend exercer, qu’elle