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combattant au loin, et pour laisser au gouvernement les moyens de « nous tirer de là le mieux possible, » d’arriver à « un arrangement conforme à la dignité et aux intérêts de la France. » Ce qu’on peut justement reprocher au ministère, c’est d’avoir attendu que tout fût engagé, et, ce qu’il y aurait le plus à craindre aujourd’hui, ce serait qu’après avoir montré aussi peu de décision que de clairvoyance dans la première partie de l’entreprise, il n’eût pas des idées plus nettes sur la solution qu’il a maintenant à poursuivre ; ce serait qu’avec l’autorité et les moyens qu’il a reçus pour subvenir à des nécessités évidentes, il continuât à suivre le même système sans savoir ce qu’il doit faire et où il doit s’arrêter. Cette question du Tonkin, elle reste, en définitive, au moment présent telle qu’elle était, telle qu’on l’a faite, — à demi éclairée par un succès si l’on veut, assez obscure encore néanmoins pour peser sur l’opinion de tout le poids des fautes qui ont été commises, qu’il s’agit aujourd’hui de réparer dans l’intérêt bien entendu de la France.

Non, certes, ce n’est pas par l’habileté, par la prévoyance, par l’esprit de suite dans les affaires extérieures que le ministère a brillé, et ce n’est pas précisément non plus dans les affaires intérieures qu’il a montré sa supériorité. Il a duré, il est vrai ; il a tenu tête à quelques assauts et il a réussi à rallier une certaine majorité dans les occasions difficiles. Il a duré en se faisant plus ou moins le complice de passions qu’il affecte parfois de ne pas partager, qu’il ne combat néanmoins qu’à demi, en rachetant quelques velléités de résistance par d’incessantes concessions à l’esprit de parti et de secte. Comme on demandait il y a quelques semaines à M. le président du conseil ce qui avait été fait cette année, M. Jules Ferry répondait avec une fierté singulièrement placée que la question de la magistrature avait été résolue.

Elle a été résolue, en effet, cette question de la magistrature ; elle a été résolue pour satisfaire des ressentimens, des convoitises de parti, et on vient de voir, par une récente discussion du sénat, ce qu’a été cette œuvre mémorable qu’on appelle par un complaisant euphémisme la réforme judiciaire, qui suffit, à ce qu’il paraît, pour illustrer une année. C’est M. Denormandie qui s’est chargé de raconter devant le sénat avec autant de fermeté que d’esprit l’histoire de l’exécution de cette loi de parti, et rien certes n’est plus édifiant ; l’exécution est digne de la pensée qui a inspiré la loi ! Toutes les précautions ont été prises, tous les subterfuges ont été employés pour que l’épuration fût aussi complète que possible, pour que la magistrature inamovible fût à peu près exclusivement atteinte dans ses chefs les plus éminens comme dans ses plus humbles représentai. Il y a des cours d’appel qui ont été presque entièrement renouvelées ; il y a des tribunaux où il n’est resté qu’un seul juge, et la