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une des positions que la France doit occuper. Ce n’est point sans doute une grande bataille ; c’est du moins une action qui a été vigoureusement conduite contre une place hérissée de défenses et qui, en définitive, ne laisse pas d’avoir été assez meurtrière, puisqu’elle nous a coûté deux cents hommes. C’est la première affaire sérieuse, le premier succès de quelque valeur ; mais si ce petit corps français lancé si loin de la patrie a mis si longtemps à entrer en action, si, même encore aujourd’hui, après la prise de Son-Tay, il semble réduit à attendre des renforts avant de poursuivre ses opérations, à qui la faute ? Elle ne peut être qu’à cette politique de faux-fuyans, de dissimulation et de demi-mesures qu’on a suivie depuis le premier jour. Évidemment, si, dès la première heure, au lendemain de l’héroïque aventure où périssaient Rivière et ses compagnons, on avait avoué tout haut une politique résolue et définie, on aurait prévenu bien des difficultés et on se serait épargné bien des mécomptes. On aurait dégoûté la Chine de ses velléités de résistance belliqueuse, de ses intrigues diplomatiques, en lui montrant qu’il y avait de la part de la France la ferme volonté d’aller jusqu’au bout. On aurait rallié l’opinion en lui montrant un but clair et précis, au lieu de la fatiguer et de l’impatienter en la tenant indéfiniment en présence d’une affaire qu’elle ne comprenait pas, qui ne lui représentait rien de distinct et surtout de séduisant. On aurait certainement mieux fait de toute façon, et pour notre considération extérieure et pour la facilité même des opérations où l’on s’engageait, d’aborder la question de front dès l’origine.

Qu’avait-on à craindre ? Il se peut sans doute que les parlemens créent des difficultés et cherchent à arrêter un gouvernement prêt à se jeter dans une aventure ; mais ils sont dans leur droit, ils sont faits pour cela, et c’est alors justement qu’il faut les éclairer, les convaincre, au lieu de commencer par leur dérober une partie de la vérité, au lieu de les traîner à travers une série d’expédiens inefficaces et de crédits insuffisans jusqu’au moment où les résolutions ne sont plus libres. Les parlemens ne sont pas insensibles à une politique sérieuse proposant des moyens sérieux pour la défense ou la protection d’un intérêt.réellement national, et dès que le sang a coulé, on vient de le voir encore une fois, ils ne refusent plus rien. Lorsque le gouvernement s’est enfin décidé, il y a quelques jours, à demander des crédits proportionnés aux circonstances, on a vu des hommes comme M. l’évêque d’Angers dans la chambre des députés, comme M. le maréchal Canrobert, dans le sénat, accorder patriotiquement ce qu’on leur demandait. Ni M. l’évêque d’Angers, ni M. le maréchal Canrobert, n’ont dissimulé assurément leur opinion sur la manière dont les affaires du Tonkin ont été conduites, ils ont néanmoins donné leur vote ; ils l’ont donné, comme l’a dit le vieux maréchal, et pour soutenir nos soldats