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comme si rien ne s’était passé, comme si les désastres de la patrie ne comptaient plus, et, parmi ces années qui se sont succédé, s’il en est qui ont été fructueuses, relativement prospères, il en est aussi qui ont été à coup sûr fort mal employées. Les unes ont été des années de crises violentes où la paix publique aurait pu périr ; les autres ont été remplies de toutes les représailles d’un parti victorieux et abusant de ses succès. Celles-ci se sont passées à tout désorganiser ou à tout ébranler sous prétexte de fonder le régime nouveau qui triomphait ; celles-là ont vu l’esprit d’aventure et de confusion rentrer dans les affaires extérieures, l’imprévoyance et la prodigalité rentrer dans l’administration de la fortune nationale. Sans vouloir montrer trop de rigueur pour ce régime républicain, tel qu’il est apparu depuis qu’il a pris sans partage et sans contestation le gouvernement de la France, tel que l’ont fait ceux qui prétendent en être les inspirateurs, les directeurs jaloux et exclusifs, on peut lui demander quelle sécurité morale il a donnée au pays, quelles améliorations sérieuses il a réalisées, comment il a continué l’œuvre de réparation commencée au lendemain de nos désastres. Et cette année même qui finit aujourd’hui, qui n’est, après tout, que l’héritière des cinq ou six années de l’ère dite républicaine, par quels bienfaits s’est-elle signalée ? Quelle succession va-t-elle léguer ? S’il ne faut que des discours, certes il y a des discours ; il y a eu les discours de Rouen et du Havre, il y a eu même un discours de Tourcoing. Les paroles sont des paroles ; les actes, ils viennent d’être rappelés et caractérisés dans ces discussions qui se sont pressées depuis quelques jours à propos du budget, qui sont comme le bilan de tout ce qui s’est fait dans ces derniers mois. Cette année qui expire, elle n’a pas été beaucoup plus heureuse que les précédentes ; elle va laisser notre politique extérieure engagée dans de lointaines et dangereuses affaires, les institutions les plus essentielles ébranlées par les passions de parti, les consciences troublées par les violences de secte, les finances publiques embarrassées et obérées, — des œuvres médiocres, en définitive, accomplies par un ministère qui veut refaire un gouvernement avec des irrésolutions et des équivoques.

Assurément, ce n’est pas par l’action extérieure, par le déploiement victorieux de notre ascendant, que cette année aura brillé. Elle laisse la France aux prises avec ces affaires lointaines de l’Indo-Chine, où l’on s’est trouvé engagé un peu sans le savoir. Avant de disparaître, elle a eu, il est vrai, une dernière bonne fortune que lui a ménagée le courage de nos soldats ; elle finit au lendemain d’un succès militaire. Notre petit corps expéditionnaire, aventuré sur les bords du Fleuve-Rouge, a pu définitivement se mettre en marche, il y a quelques jours, sous les ordres de l’amiral Courbet, et il n’a pas tardé à enlever intrépidement cette place de Son-Tay, depuis longtemps désignée comme