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avions l’honneur d’être roi d’Espagne ou d’Italie, il nous déplairait d’être si visiblement protégés contre l’ingratitude ou l’inconstance de nos sujets. Dans le siècle où nous vivons, les peuples sont ombrageux, et, quelque puissantes qu’elles soient, les protections étrangères nuisent plus aux souverains qu’elles ne les servent.

Sans contredit, la politique défensive n’a rien de flatteur pour un amour-propre exigeant et chatouilleux, mais il n’est pas sûr qu’elle conduise aux humiliations. On peut, sans blesser aucune vraisemblance, se représenter une république démocratique, tout occupée de ses propres affaires, très discrète dans ses relations avec ses voisins et qui n’aurait pas à se repentir de sa réserve. Elle serait assez sagement gouvernée pour n’être jamais un sujet de scandale, et il se commettrait chez elle moins de désordres que dans maint royaume. Ne menaçant personne, elle travaillerait sans cesse à fortifier son armée pour se mettre hors d’atteinte et à l’abri de toute insulte. Fidèle à ses engagemens, mesurée dans sa conduite, soucieuse de sa dignité, mais laissant aux rois les aigreurs et les vanités du point d’honneur, elle n’aurait garde de s’émouvoir des démonstrations qui pourraient se faire autour d’elle, et, en toute chose, elle ne regarderait qu’aux résultats, comme un bon négociant passe tout au compte des profits et pertes. A la longue, elle croîtrait en autorité, en crédit ; sa discrétion lui gagnerait les sympathies, qui vont d’ordinaire aux pacifiques et aux modestes. Malgré la défaveur attachée à la forme de son gouvernement, plus d’une monarchie s’intéresserait à sa conservation, il y aurait peu d’apparence que l’Europe se coalisât pour tramer sa ruine, et si jamais quelqu’un lui cherchait une injuste chicane, toutes les machines qu’on pourrait dresser et remuer viendraient se briser contre l’intrépide et calme énergie de ses résistances, comme se fût brisé Masséna contre les lignes de Torres-Vedras s’il eût conçu le fol espoir de les forcer.

Nous croyons fermement que tant que la France sera sage, elle n’aura rien à craindre, et qu’elle a le droit de beaucoup espérer. Puisse-t-elle avoir cette correction dans la conduite et ces longues patiences qui sont toujours récompensées ! C’est le vœu que nous osons former dans ces jours où tous les souhaits sont permis, et ce n’est pas un miracle que nous demandons.


G. VALBERT.