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elles sacrifient sans peine la gloire et ses fumées à leurs intérêts, leurs rancunes mêmes à l’amour de leur repos, et lorsqu’elles ont des difficultés avec leurs voisins, elles considèrent la guerre comme un remède extrême, le plus souvent funeste, dont il ne faut user que dans les cas de force majeure et d’urgente nécessité. Si la France a paru chercher des aventures dans l’extrême Orient ou en Afrique, il ne s’agissait pour elle, selon l’heureuse et juste expression de M. Jules Ferry, que de pourvoir aux intérêts de sa conservation coloniale. Elle ne serait allée ni à Tunis ni au Tonkin si elle n’avait craint, en n’y allant pas, de perdre l’Algérie et de compromettre la sûreté de la Cochinchine.

Clausewitz disait qu’à la guerre la défensive est encore le parti le plus commode et le plus sûr. L’offensive a ses avantages, elle a aussi ses inconvéniens, qui souvent les balancent, et on peut en dire autant de la politique d’action. La vérité est que, dans ce monde, chacun fait ce qu’il peut. L’essentiel est de se connaître, de se sentir, de ne pas trop présumer de soi ; on se trouve toujours bien d’avoir du bon sens. Nous ne sommes pas de ceux qui, en toute rencontre, attribuent à M. de Bismarck de sinistres et ténébreux desseins. Victoire oblige, et, après ses triomphes, l’Allemagne se doit à elle-même d’affirmer sans cesse sa prééminence, de la rappeler à ses voisins, de ne pas souffrir que personne en doute. Au temps de sa grandeur, Napoléon III se plaisait à inquiéter l’Europe par ses mots à effet, par le mystère de ses démarches. Longtemps M. de Bismarck s’est tenu sur la réserve ; il affectait de n’intervenir dans les affaires des autres qu’avec une extrême discrétion ; il se contentait du rôle d’honnête courtier. Depuis, il a changé d’attitude et de conduite. Il semble avoir adopté la méthode napoléonienne, la politique démonstrative, la politique à sensation. Toujours agité et toujours agitant, il fournit l’Europe de spectacles et de surprises. L’émotion qu’il excite partout lui fait sentir sa grandeur ; mais, à force d’émouvoir les peuples, on finit quelquefois par les lasser, sans compter que les démonstrations n’atteignent pas toujours leur but.

Dernièrement il a envoyé le futur empereur d’Allemagne se promener en grande pompe à Madrid et à Rome, et son choix était heureux ; le prince impérial a plus que personne le don rare d’attirer et de s’attacher les hommes. Mais est-il prouvé qu’après ce voyage qui a fait tant de bruit et un si grand éclat, le roi Alphonse se sente mieux assis, plus ferme sur la selle ? Est-on certain qu’en partageant à dose inégale ses attentions entre le Quirinal et le Vatican, on ait procuré aux Italiens un plaisir sans mélange ? Croirons-nous que cette ligue des couronnes, cette société d’assurance mutuelle qu’on prétend fonder entre les monarchies, soit la plus efficace des inventions ? Si nous