Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur destinée, on se dit qu’il faut que la mer exerce une bien puissante attraction sur ceux qui sont nés sur ses rivages pour qu’ils ne reculent pas devant les périls de la vie de marins. Peut-être serait-il possible d’augmenter leur salaire en leur facilitant les moyens de vendre leur poisson. On voit dans les ports de mer chaque bateau, en accostant le quai, y déposer les poissons, souvent encore vivans, dont il s’est emparé. Les parts faites entre le patron et les matelots, ces poissons sont vendus aux enchères par lots assortis, et achetés soit par des marchands de la localité, soit par des commissionnaires, qui les font emballer séance tenante et les expédient sur tous les points du territoire. Sans parler de ce qu’a de répugnant le spectacle de ces poissons qui agonisent et expirent sur le sol, souvent boueux, du rivage, il serait désirable que les municipalités fissent faire partout des marchés couverts, comme il en existe déjà dans quelques villes, où des agens spéciaux procéderaient aux ventes publiques et feraient directement, sans le concours des commissionnaires, leurs expéditions aux facteurs de la halle, à Paris, ou des marchés de l’intérieur. On supprimerait ainsi des intermédiaires onéreux, tout en multipliant les débouchés, au grand profit des pêcheurs et des consommateurs de poissons.

Il n’y aurait toutefois pas grand avantage à augmenter le salaire des marins, si, d’autre part, on ne cherchait à leur donner le goût de l’épargne et du bien-être. Habitués à affronter tous les dangers, ils sont trop souvent insoucians de l’avenir et dépensent sans compter le peu qu’ils gagnent. Les statistiques des pêches maritimes constatent que partout où les pêcheurs ont des habitudes de désordre et d’intempérance, ils sont misérables, et que partout, au contraire, où ils mènent une vie régulière, ils sont dans l’aisance et possèdent souvent une petite propriété, qu’ils cultivent pendant la saison où ils ne peuvent exercer leur métier. L’administration de la marine entre, d’ailleurs, dans cette voie ; elle comprend qu’elle a charge d’âmes et qu’elle a le devoir de développer chez les marins l’esprit de prévoyance en mettant à leur portée les institutions qui leur permettent d’améliorer leur sort. C’est ainsi qu’elle cherche à leur démontrer les avantages qu’ils trouveraient à s’associer pour l’exercice de leur industrie. Aujourd’hui, la plupart des bateaux pèchent isolément, chacun pour son compte et suivant les conventions faites entre le patron et son équipage : aussi sont-ils obligés de rentrer au port, aussitôt la pêche faite, pour vider et vendre leur chargement. Ils éviteraient cette perte de temps et pourraient rester indéfiniment en mer si les patrons étaient associés et si, comme les pêcheurs norvégiens, ils avaient des bateaux spéciaux pour transporter à terre les produits de leur pêche et leur rapporter leurs provisions. Les poissons n’attendraient pas ainsi plusieurs jours avant de paraître