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d’être souillées par des scènes analogues aux massacres de septembre 1792. Dans le désarroi où glissent à certains instans les gouvernemens, avec la frénésie qui saisit parfois les foules, il pourrait se faire que, pour sauver la demeure pontificale d’une irruption populaire, pour soustraire le saint-père aux mains des forcenés, les ministres italiens fissent eux-mêmes conseiller au pape et à ses cardinaux de fuir de Rome en toute hâte.

Laissons cette sombre hypothèse de guerre. Tout nous interdit de nous y arrêter. Avec qui donc l’Italie aurait-elle la guerre ? Presque seule en Europe, elle n’a pas d’ennemis. Si jamais elle prend les armes, la guerre sera de son fait et non du fait d’autrui. Éloignons ce spectre invraisemblable ; en dehors de là, en dehors même des transformations que peut subir la politique intérieure du royaume, sans tenir compte des inconséquences, des témérités ou des faiblesses du pouvoir civil, un événement en lui-même insignifiant, des considérations en apparence mesquines peuvent à l’improviste déterminer le pape à franchir, pour n’y plus rentrer, les portes de Rome.

Il faut, en pareil cas, compter avec l’humeur et le caractère personnel des souverains pontifes, avec la santé et les infirmités des vieillards portés à la chaire de Saint-Pierre. Le Vatican, avec ses vastes horizons et ses jardins fiévreux, est une demeure dont la patience même d’un pape peut se lasser ; le Belvédère, bâti comme une villa de plaisance par Bramante, est un séjour d’été plus agréable pour les dieux de marbre que pour des hommes de chair. La claustration même, entrée dans la tradition pontificale depuis 1870, est pour le chef de l’église une cause de plus d’ennui et d’insalubrité. Dans les conditions où elle s’exerce, la suprême magistrature de l’église est devenue une charge qui demande une continuelle immolation de l’âme et du corps, presque également victimes de ce solennel internement au fond d’un palais solitaire. Trouvera-ton longtemps une dynastie de vieillards capables d’un tel sacrifice ? Léon XIII, on le sait, se ressent déjà cruellement de sa captivité dans sa superbe prison et regrette amèrement l’air vif des collines de Pérouse. Il peut venir un pape qui se fatigue de cette éternelle claustration, qui prenne en dégoût les monotones promenades dans les allées ou les galeries du Vatican, comme un détenu les muettes récréations dans le préau d’une maison centrale ; un pape qui, las de voir ses forces décliner dans son froid palais, cède au fascinant appel des montagnes qu’il aperçoit de ses fenêtres, et, suivant le conseil de ses médecins, se décide à aller chercher ailleurs l’air et la santé. Les pontifes, qui tomberont malades au Vatican, ne se résigneront peut-être pas tous à être martyrs de la nouvelle