Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le ramener vainqueur dans l’héritage de Pierre ? Le pape n’a plus ni les Normands de Robert Guiscard, comme Grégoire VII, ni les Français, les Autrichiens, les Espagnols, comme Pie IX à Gaëte. S’il avait quitté la ville aux sept collines, Léon XIII eût fort risqué de ne point revoir la croix d’or de la coupole de Saint-Pierre, et ses successeurs, s’ils fussent jamais rentrés au Vatican, auraient pu n’y pas retrouver tout ce que le saint-siège y eût laissé. De nos jours, l’exil des papes, loin du tombeau des apôtres, pourrait durer plus longtemps que les soixante-dix ans de captivité d’Avignon, et, dans leur nouvelle résidence, ils ne seraient pas sûrs d’entendre, comme les successeurs de Clément V, l’Italie, par la voix d’un Rienzi et d’un Pétrarque, les conjurer de rendre à Borne veuve son immortel époux, ni sûrs de voir à leur retour, ainsi que Grégoire XI, le peuple romain, accouru sur leur passage, les saluer de ses acclamations.

Quand on parle du départ du pape, il ne s’agit ni d’un simple voyage ni d’un simple déménagement de la cour romaine. Il ne s’agit de rien moins que du déplacement de la capitale de l’église. Or, qu’il soit question de Pétersbourg ou de Moscou, de Rome ou de Florence, c’est toujours une grave et dispendieuse affaire que la translation du siège d’un grand gouvernement d’une résidence à une autre. Une capitale politique ou religieuse, une capitale comme Rome surtout, ne s’improvise point, et cela est peut-être plus vrai encore d’une métropole ecclésiastique qui tient ses titres et sa consécration du sol et des souvenirs. Le pape serait obligé d’emmener avec lui et le sacré-collège, et les congrégations romaines, et les chefs des ordres religieux, et toutes les administrations pontificales, sans compter les ambassadeurs accrédités près de sa personne. Ce ne serait pas là une tâche aisée ; un pareil exil des cardinaux, de la prélature, de la cour la plus casanière qui fut jamais, serait une révolution dans les mœurs et les habitudes de l’église romaine. Le personnel de son palais, ses ministres, ses cardinaux, ses camériers, sa chapelle, jusqu’à ses suisses et ses gendarmes, le saint-père pourrait encore les faire émigrer avec lui ; mais, dans cet exode sans terre promise au bout, il ne saurait se faire suivre des tombeaux des apôtres, ni encore moins des basiliques et des catacombes où sont inscrits, dans la pierre et le marbre, dans la poussière des siècles et dans les entrailles du sol, les titres de ses prédécesseurs. Le pape ne peut emporter avec lui Saint-Pierre de Rome ou Saint-Paul-hors-les-Murs, comme les Israélites dans leur marche emportaient l’arche d’alliance, ou mieux, comme les anges ont transporté la Santa-Casa des collines de la Galilée aux rives de l’Adriatique.

Et ces églises ou ces palais qu’ils seraient contraints de laisser