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de Rome a ses anciens maîtres ecclésiastiques. Léon XIII, du moins, ne se fait pas scrupule de laisser mettre en avant des combinaisons naguère repoussées avec dédain par son prédécesseur. Avec lui, le Non possumus a singulièrement perdu de son inflexibilité. S’il prétend toujours faire reconnaître la souveraineté du saint-siège, il semble prêt à se contenter d’une sorte de haute souveraineté ou de suzeraineté idéale, qui, sans lui rendre une autorité temporelle directe, assurerait davantage sa souveraineté personnelle. Le point sur lequel les organes attitrés du Vatican refusent de transiger, le point essentiel sur lequel ils sont unanimes à insister, c’est l’abandon de Rome par le roi, c’est le transfert de la capitale italienne en dehors des murs de la ville éternelle. Le saint-siège se résigne à l’Italie une, il ne peut se faire à Rome capitale. S’il n’exige pas absolument d’en redevenir le roi, le pape veut être seul à y habiter. Qu’elle s’administre librement comme une sorte de ville libre, qu’elle reste même italienne et garde, si l’on veut, le titre de capitale morale de l’Italie, Rome doit être rendue tout entière à son rôle de métropole catholique. Le départ du roi et du parlement, telle est pour le Vatican la condition sine qua non de toute réconciliation, de toute négociation.

Pour qui n’a pas oublié les hautaines revendications de Pie IX, il y a loin de là à l’intransigeance indignée du dernier pape roi. Léon XIII, en abaissant ainsi les prétentions de la curie, donne une preuve incontestable de modération et d’esprit politique. Il ne réclame des maîtres de l’Italie que ce que le gouvernement italien a jadis spontanément offert au saint-siège, moins même peut-être que ne lui eussent accordé plusieurs des ministres de Victor-Emmanuel, Cavour et Ricasoli entre autres[1]. Par malheur, des combinaisons que l’Italie aurait accueillies avec joie, lorsqu’elle était encore campée à Turin ou à Florence, elle se refuse à les discuter après être montée au Capitole. Ce que Pie IX a décliné vers 4867, Léon XIII le proposerait en vain aujourd’hui. Le grand art de la politique, c’est de saisir le moment-, la papauté n’a pas su le faire et n’en était peut-être pas libre. Elle s’en est tenue trop longtemps au Sint ut sunt, aut non sint, L’Italie installée dans Rome ferme l’oreille aux propositions du saint-siège comme le saint-siège a repoussé les siennes tant qu’il conservait Rome. Il n’était pas impossible d’empêcher la, monarchie unitaire d’établir sa capitale à Rome, il est singulièrement moins aisé de l’amener à la transporter ailleurs[2].

Est-il nécessaire d’en faire voir les raisons, d’en discuter les

  1. Voyez la Deutsche Rundschau, mars 1882.
  2. Nous ne pouvons revenir sur ce sujet sans rappeler aux lecteurs l’excellente étude de M. G. Valbert, la Question romaine et M. de Bismarck. (Revue du 1er février 1882 et Hommes et choses du temps présent ; Hachette, 1883.)