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lutte directe avec l’église, il sera malaisé au saint-siège de s’en montrer, en Italie, l’allié on le complice.

Malgré ses légitimes appréhensions, la papauté, si elle n’avait en vue que la péninsule, n’hésiterait peut-être pas longtemps à préférer, dans Rome, l’inconnu de la république à la monarchie unitaire. Le Vatican ne se laisserait pas épouvanter par le déchaînement de passions et de convoitises que soulèverait une révolution ; peut-être même redouterait-il moins les brutales violences de la plèbe et les ignorantes fureurs populaires que la perfide astuce des légistes et la guerre savante des parlementaires. Les nouveaux barbares, les modernes sauvages qui peuvent sortir des bas-fonds du peuple, l’église se flatte d’avoir de quoi les dompter, comme jadis les barbares accourus des forêts de la Germanie[1]. Ce qui arrête la papauté, c’est l’intérêt de l’église au nord des Alpes ; c’est que, en face des attaques aveugles de la démocratie, le saint-siège craint de s’aliéner les monarchies européennes et ne veut, même pas en apparence, faire aux bords du Tibre le jeu de leurs ennemis.

Les décevantes expériences de Pie IX en 1848, la guerre acharnée menée en tant de pays contre l’église au nom de la démocratie, ont plus que jamais rejeté le saint-siège vers les idées d’autorité et les principes conservateurs. Cette politique, pratiquée avec la passion du désenchantement par Pie IX, a été accentuée en même temps que perfectionnée par Léon XIII. Elle lui a déjà trop bien réussi pour qu’il aille y renoncer. Ce n’est pas lai qui entraînera jamais le saint-siège à une évolution républicaine. C’est là, pour la papauté, une ressource suprême, à laquelle de longtemps elle ne se résoudra qu’à la dernière extrémité. Il ne s’ensuit pas qu’à l’heure du péril les héritiers de Victor-Emmanuel puissent compter sur les successeurs de Pie IX. Loin de là, s’il leur répugne de rien faire pour renverser la maison de Savoie, les papes ne feront rien pour l’empêcher de tomber, à moins que, dans sa détresse, elle ne consente à payer leur appui un prix que, dans sa puissance, elle n’en saurait donner.


V

Quelles conditions le saint-siège mettrait-il aujourd’hui à sa réconciliation avec la maison de Savoie ? Le Vatican, depuis l’avènement de Léon XIII, les a plus d’une fois laissé entrevoir d’une manière au moins officieuse. Le successeur de Pie IX ne demande pas à l’Italie de renoncer à son unité. Pour donner l’absolution aux usurpateurs, il ne demande plus la restitution intégrale des états ravis à l’église ; il ne paraît même plus réclamer formellement le retour

  1. Voyez, par exemple, la Civiltà cattolica, octobre 1882.