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Allons plus loin. Laissons de côté ces difficultés de conduite ; supposons que le pape et les catholiques ont su éviter de se compromettre réciproquement, que pourraient faire les néo-guelfes dans l’opposition ou au pouvoir ? Ils pourraient assurément défendre la religion, rendre à ses ministres ou à son chef telle ou telle liberté, tel ou tel privilège. Ils pourraient demander et obtenir le rappel des mesures de guerre votées contre l’église depuis vingt-cinq ans, faciliter, par exemple, le recrutement du clergé, lui restituer l’exemption du service militaire, encourager les écoles ecclésiastiques, accroître la liberté de l’épiscopat ou des congrégations. Ils pourraient même, à certaines heures, obtenir pour le saint-siège des sûretés nouvelles, élargir les garanties qui lui ont été accordées, et, en tout cas, appliquer autrement, dans un esprit plus favorable au Vatican, les prérogatives que lui reconnaît déjà la loi. Ils pourraient en un mot accomplir bien des choses sans être obligés d’ébranler les bases de l’état, sans toucher au statut ou bouleverser la législation. L’erreur, — erreur aussi manifeste que répandue, — c’est de croire que, s’ils l’emportaient jamais au parlement, les catholiques pourraient refondre les lois, pourraient améliorer la situation de l’église et du saint-siège, d’une manière durable, permanente. Ce n’est là qu’une illusion, commune, il est vrai, à presque tous les partis, mais fondée sur une fausse conception du gouvernement représentatif. Une majorité parlementaire peut, sans doute, presque tout modifier, tout changer ; mais les changemens effectués par elle ne durent guère qu’autant qu’elle dure elle-même. Les mesures que les catholiques seraient maîtres de voter en faveur du saint-siège, les prérogatives et les garanties nouvelles qu’il leur plairait de lui accorder, il serait hors de leur pouvoir de lui eu assurer le maintien et le respect. Quand ils réussiraient à inscrire au fronton de la monarchie unitaire le Christus vincit, Christus imperat, que les papes ont gravé sur les monumens païens, une victoire de leurs adversaires pourrait le lendemain abattre de nouveau la croix du Capitole. La vie des états, telle que l’a faite le parlementarisme, est une vie essentiellement militante, où les conquêtes d’un jour ne sont gardées qu’au prix de continuelles victoires. Les concessions qu’une majorité catholique pourrait jamais faire au pape ne demeureraient assurées qu’autant qu’une telle majorité resterait maîtresse de l’arène politique. Or l’une des conséquences les plus manifestes d’un gouvernement représentatif, c’est qu’aucun parti ne saurait indéfiniment se maintenir au pouvoir. Les catholiques sont en droit de compter sur les armes constitutionnelles pour défendre ou pour étendre les garanties reconnues au pape ; ils ne sauraient compter sur une