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imputée aux catholiques, aurait, en Italie, bien plus d’apparence et de raison d’être, aurait bien plus d’inconvéniens et de périls ; elle susciterait bien plus d’appréhensions et de susceptibilités ; elle serait bien plus étroite et plus difficile à nier ou à éviter, alors que, au lieu de suivre de loin les inspirations d’un pouvoir étranger, les catholiques italiens s’inclineraient devant les instructions d’un chef résidant au milieu d’eux, dans la capitale même du royaume. Au nord des Alpes, en Belgique, en Allemagne, en France, ils sont dans leur droit, lorsqu’ils disent que le pape n’est pour eux qu’un chef religieux dont, en politique, ils n’ont ni ordre ni conseils à recevoir. Et, de fait, la papauté n’a pas la prétention d’intervenir dans les affaires intérieures des états ; elle n’y a d’ordinaire aucun intérêt. Comment ne pas voir qu’il en serait tout autrement en Italie ? Ailleurs, en Espagne, en Belgique, en Allemagne, en Irlande, l’impulsion de Borne, dans les affaires religieuses elles-mêmes, n’est pas toujours servilement obéie des « cléricaux, » qui, étant sur les lieux, prétendent mieux connaître ce qui convient, à l’église et au pays. En Italie, tout autre encore serait la situation du parti catholique. Pour lui, le saint-père serait forcément presque autant un chef politique qu’un chef religieux. Avec le prestige moral de l’autorité pontificale, avec les reflets éblouissans que jette autour d’elle la tiare infaillible, avec la tendre piété des fidèles de notre siècle pour le maître de la foi, pour a le Christ voilé, » auquel tout pouvoir a été donné sur terre et au ciel, avec la forte centralisation de l’église enfin, le parti catholique n’aurait d’autre leader effectif que le pape. C’est du Vatican qu’il recevrait le mot d’ordre, et l’on verrait fatalement intervenir dans la politique le Roma locuta est. Le Monte-Citorio serait trop près de la cité léonine pour que les députés ou les ministres catholiques ne suivissent pas religieusement la direction du Vatican.

Les catholiques au pouvoir, le vrai roi n’est plus au Quirinal, le chef réel du gouvernement n’est plus à la Consulta ou au palais Braschi. Les « cléricaux » maîtres des chambres, il n’y a qu’à établir un télégraphe ou un téléphone entre les ministères et la place Saint-Pierre. Ce jour-là, les libertés parlementaires ne seraient plus qu’une forme ou un voile. Selon le rêve de quelques catholiques, le pouvoir temporel du saint-siège serait indirectement rétabli, avec toute l’Italie comme patrimoine de Saint-Pierre. L’unité italienne confisquée tournerait au profit de sa grande victime. Le pape serait le véritable souverain de la péninsule et souverain presque aussi absolu qu’autrefois. Au sommet du royaume, élevé par la révolution sur les débris des états de l’église, seraient arborées les clés de Saint-Pierre, de même que jadis Sixte-Quint dressait la