Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour les amener aux batailles rangées du parlement. Une telle armée ne manquerait assurément ni de chef, ni de mot d’ordre, ni d’étendard. En Italie, sous quelle autre bannière combattrait une droite catholique que sous les clés de Saint-Pierre ? Quel autre objectif aurait-elle que de défendre la liberté et la dignité du vicaire du Christ, que de lui faire une situation acceptable dans le nouveau royaume, que de travailler à le réconcilier avec l’Italie et à réconcilier l’Italie avec lui ?

La difficulté manifeste de cette tâche, pour les patriotes même qui la croient la plus urgente, est en réalité une des raisons qui ont entravé jusqu’ici la constitution d’un parti catholique, ou la descente de ce parti dans l’arène parlementaire. En tout pays libre, la première condition de succès pour un parti politique, c’est de ne pas froisser le sentiment national. Or, en Italie, les catholiques, les défenseurs de l’hôte auguste du Vatican ont, depuis 1860 et 1870, été fatalement suspects de mettre en danger l’indépendance et l’unité nationales, deux choses sur lesquelles l’immense majorité de la nation, les catholiques compris, est d’autant plus susceptible qu’elle en a été plus longtemps privée. Pour prendre une part ouverte aux luttes politiques, il fallait avant tout que les conservateurs catholiques eussent su rassurer à cet égard le sentiment public. Et comment le faire tant qu’au Vatican restaient vivantes des prétentions plus ou moins inconciliables avec l’unité de la péninsule ? alors que, dans la plupart des provinces, la communauté des regrets confondait les défenseurs de l’église avec les derniers débris des anciens partis absolutistes de Naples, de Toscane, des duchés ? Nulle part, il n’était plus difficile aux catholiques et, avec eux, aux simples conservateurs, aux esprits défians du libéralisme ou de la démocratie, d’arrêter un programme, d’adopter un cri de guerre et une plate-forme de combat. Ceux qui le tentaient ne risquaient rien moins qu’un désaveu des influences mêmes qu’ils prétendaient servir. Et, de fait, on a vu plus d’une fois les essais d’organisation ou d’intervention de catholiques sincères publiquement répudiés d’en haut.

Aussi les conservateurs, dans le sens donné ailleurs à ce mot, les partisans de la tradition et de l’autorité ont-ils, sous Léon XIII comme sous Pie IX, renoncé à toute action politique directe, à toute ingérence dans les luttes parlementaires. Ils ont, pour la plupart, émigré à l’intérieur, abandonnant la gestion des affaires publiques aux différens groupes issus de la révolution de 1860. Au début, beaucoup croyaient peu à la solidité de l’édifice si rapidement élevé sous leurs yeux ; mais l’œuvre hâtive de Victor-Emmanuel et de Cavour a duré. Les fils des anciens adversaires de la révolution