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il n’avait publié, de son vivant que le Mémoire sur l’habitude, qui appartenait encore à l’école idéologique, et deux écrits courts et obscurs pour ceux qui ne connaissaient pas sa nouvelle philosophie, à savoir l’Examen de Laromiguière et l’article, Leibnitz dans la Biographie universelle[1]. Il résulte de ces faits qu’il y eut bien, en effet, au début de notre siècle, un commencement de mouvement philosophique, mais qui se borne en réalité, d’une part, à trois ans d’enseignement bien vite perdus et oubliés dans le tourbillon de la politique ; et, de l’autre, à deux écrits fort ignorés, qui n’ont eu, à leur date, aucune influence, Biran, comme Royer-Collard, n’ayant dû son succès ultérieur qu’à l’école de Cousin, et à Cousin lui-même[2].

Tel est, en toute exactitude, le bilan des connaissances philosophiques que l’on possédait en France[3] lorsque Victor Cousin vint prendre la direction du mouvement et lui imprimer l’action de sa puissante personnalité. Suivons-le donc dans cette chaire de la Sorbonne, où il vient de monter à l’âge de vingt-trois ans, et mesurons l’étendue des progrès dont il a été l’auteur.

L’enseignement de Cousin dura d’abord cinq ans, de 1815 à 1820, pour reprendre plus tard, de 1828 à 1830. Il ne professa donc en tout que de sept à huit années, en deux périodes distinctes. Nous possédons ces deux séries de cours. La première série (de 1815 à 1820), se compose de cinq volumes qui ont été publiés deux fois dans des conditions très différentes. La première édition a été donnée par les amis de Victor Cousin (MM. Garnier, Danton et Vacherot), sur les rédactions mêmes des élèves ; elle est la reproduction aussi littérale que possible du cours primitif, et comprend cinq volumes in-8o publiés chez l’éditeur Ladrange de 1836 à 1841, plus une petite brochure de cent cinquante pages, qui reproduit les premières leçons de 1820, et dont nous parlerons plus tard. La seconde édition a été faite par Cousin, lui-même, qui a revu et remanié tous ses cours, en a perfectionné la forme, et plus ou moins modifié le

  1. L’un et l’antre furent publiés en 1847, par conséquent, après les débuts de Victor Cousin.
  2. C’est Cousin qui, dans ses leçons de 1828 et de 1829, dans sa préface de 1833, fit connaître le premier en France le nom et la philosophie de Biran, qu’il proclama « le premier métaphysicien de son temps. » C’est lui qui publia ses écrits.
  3. Pour être tout à fait complet, il faudrait signaler encore 1° les chefs de l’école physiologique, Cabanis et Bichat, les vrais maîtres de la psychophysique actuelle ; 2° les fondateurs du traditionalisme, de Maistre, Bonald et Lamennais ; 3° enfin les chefs du socialisme, Charles Fourier et Saint-Simon. Ce sont là des mouvemens divergens dont nous sommes loin de méconnaître la valeur, mais ces trois grandes écoles ont eu pour caractère commun d’absorber la philosophie dans des études étrangères : les sciences, la religion, la réforme sociale. Nous nous plaçons ici au point de vue de la philosophie proprement dite.