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L’ALEXANDRINISME.

pour assister à un merveilleux spectacle qui réunit la magnificence de l’Orient à l’art délicat de la Grèce. À côté du bel Adonis et d’Aphrodite, couchés sur leurs lits d’argent au milieu d’un appareil où le luxe et la recherche l’emportent sur le goût, la voix exercée d’une artiste grecque, d’origine argienne, module un chant en l’honneur de la déesse et du héros. On voit qu’à cette fête religieuse il manque une chose, le sentiment religieux. Une émotion profonde, ou au moins une passion à demi physique et extatique, remuait les Syriennes et même les Athéniennes, qui, échevelées et se frappant la poitrine, se lamentaient sur la mort du beau jeune homme en qui se personnifiait la nature envahie par le froid et la stérilité de l’hiver. Dans la fête célébrée par Arsinoé, cette passion a complètement disparu ; c’est un simple spectacle ; c’est presque déjà un divertissement mythologique, comme ceux qu’on arrangera pour la cour de Louis XIV. On y trouve même le compliment à la famille royale. Si Arsinoé, dit la chanteuse, a paré si magnifiquement l’amant de Cypris, c’est pour remercier celle-ci d’avoir versé l’ambroisie dans le sein de sa mère Bérénice et opéré son apothéose. Cette indifférence sur le fond, cet appareil extérieur, cette magnificence froide et chargée et cette élégance recherchée dans le détail, c’est l’alexandrinisme.

Ces conclusions ressortiraient peut-être avec plus d’évidence encore comme les conséquences naturelles de l’interminable description qui se lit dans Athénée des splendeurs mythologiques que Ptolémée Philadelphe avait déployées dans une procession dionysiaque. Qu’on se reporte, par la pensée, vers la vraie capitale de la Grèce, qu’Alexandrie venait supplanter, vers Athènes ; qu’on se figure un instant la procession des Panathénées, où sont réunis tous les représentans de la cité, vieillards et jeunes gens, magistrats et citoyens, qu’on la voie gravissant dans un ordre harmonieux la roche sainte qui est le centre de la ville et autour de laquelle se sont groupés ses quartiers irréguliers, chacun avec son histoire et sa vie, et arrivant au Parthénon, noble sanctuaire de la déesse vierge et de l’art attique : aussitôt on sentira quelle distance sépare de la ville ancienne, toute pénétrée de la plus pure substance de l’hellénisme, cette ville improvisée, sans passé et sans foi, réunion artificielle d’élémens disparates, née d’une pensée politique et maintenue par la présence d’une dynastie étrangère au pays. On comprendra, en même temps, ce qui distingue le plus la littérature alexandrine de la littérature antérieure.

Parmi les créations des premiers Ptolémées, celle qui leur faisait le plus d’honneur, celui de leurs luxes par lequel ils avaient voulu témoigner de l’élévation de leurs goûts, c’était le Musée. La Volière