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chances pour que des élections ainsi faites jettent encore une fois l’Espagne dans une redoutable aventure. Si le ministère ne peut vaincre ces résistances et s’il n’a pas assez d’autorité pour obtenir la dissolution, si, en un mot, il est obligé de se retirer, c’est peut-être un autre danger. Le roi lui-même peut se trouver compromis pour s’être prêté à une expérience qu’il refusera de laisser aller jusqu’au bout, pour avoir enhardi des espérances auxquelles il infligera, au demeurant, un périlleux mécompte. De toute façon, la situation risque de devenir plus difficile que jamais, et ce n’est point, dans tous les cas, avec l’influence allemande qu’on peut songer à dénouer cette crise nouvelle. Bien mieux, si un ministère ou un parti se laissait aller à se servir de cette influence, il verrait probablement aussitôt tous les autres partis se coaliser contre lui, il soulèverait le sentiment national. De sorte que le voyage du prince allemand, qui n’est, en réalité, d’aucun secours pour l’Espagne dans ses affaires extérieures, peut encore moins l’aider à débrouiller ses affaires intérieures.

Aujourd’hui le prince impérial quitte l’Espagne, qu’il laisse à ses embarras ministériels et parlementaires ; il cingle vers l’Italie, et comme, à ce qu’il semble, ce voyage doit être de toute façon fertile en surprises, on va avoir ici un nouveau coup de théâtre plus imprévu encore que la visite à Madrid. Le prince Frédéric-Guillaume se rend, en effet, à Rome, on n’en peut plus douter. S’il n’allait dans la ville éternelle que pour visiter le roi Humbert, pour le remercier de l’accueil gracieux qu’il a reçu à son premier passage à Gênes, ce serait un fait assez simple, qui n’aurait rien de surprenant, qui ne ferait pas surtout un si grand bruit ; mais il est bien clair que, pour le moment, ce qui fait l’importance de ce nouveau voyage, ce qui lui donne cette apparence d’un vrai coup de théâtre, ce n’est pas la visite au roi Humbert, c’est la visite que le prince allemand va faire au pape Léon XIII dans son palais du Vatican. C’est, dit-on, la réalisation d’une pensée de l’empereur Guillaume lui-même. Vainement les catholiques du centre parlementaire poursuivent encore aujourd’hui de leur opposition les ministres prussiens dans la chambre de Berlin ; pendant qu’ils font la guerre, l’empereur Guillaume suit son programme de pacification religieuse, persévérant plus que jamais dans une politique dont le voyage de son fils à Rome est évidemment une manifestation préméditée et significative. L’empereur Guillaume a d’ailleurs fait précéder cette visite au Vatican de quelques actes de déférence envers le saint-père. Il vient notamment de relever d’une ancienne condamnation l’évêque de Limbourg, et on pourrait remarquer aujourd’hui bien d’autres signes de cette volonté d’en finir avec les querelles religieuses. Chose curieuse 1 on aurait pu croire que, si le prince Frédéric-Guillaume se décidait à faire ce voyage, c’était pour resserrer ce qu’on