Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/957

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’accomplit, après tout ce qui s’est passé depuis quelques mois, ce voyage a pris ou a paru prendre une signification qui a pu être exagérée, qui n’existe pas moins ; il n’est point douteux que, pour ceux qui l’ont conçu ou provoqué et pour l’opinion européenne toujours prompte à s’émouvoir, il a été quelque chose de plus qu’une partie de plaisir ou un échange de courtoisies. Seulement, l’inconvénient des manifestations de ce genre est souvent de dépasser le but, de mettre beaucoup de mirages dans la politique, de ne pas répondre, en un mot, à la vérité des situations, des rapports entre les peuples.

C’est donc un fait accompli aujourd’hui. Le prince Frédéric-Guillaume a fait son voyage en Espagne en allant aborder à la côte de Valence, et depuis son débarquement il a été fêté partout sur son passage. À Madrid, il a trouvé tout l’éclat et les pompes de l’hospitalité espagnole. Le jeune roi Alphonse a fait à son hôte les honneurs de son royaume avec une vivacité d’empressement qui ressemblait à de la reconnaissance. Banquets de famille, banquets diplomatiques et militaires, brillantes revues passées au Prado de Madrid, manœuvres à Carabanchel, visites aux musées et aux casernes, à l’Escurial et à Tolède, télégrammes chaleureux du vieil empereur Guillaume survenant au milieu de toutes ces fêtes, rien n’a manqué. Le prince allemand a même été reçu membre d’une académie de jurisprudence espagnole et on lui a fait des discours de circonstance. Puis, quand les plaisirs de Madrid ont été épuisés, le prince est allé visiter l’Andalousie, Séville, Grenade, Cordoue, pour revenir par Valence à Barcelone, où il s’embarque pour l’Italie. Tout cela s’est fort bien passé, quoique avec un peu d’affectation. Et maintenant que les feux d’artifices sont éteints, que reste-t-il pour l’Espagne de cette représentation de quelques jours ? Quelle influence pourrait avoir ce voyage sur les affaires extérieures ou sur les affaires intérieures de la Péninsule ? C’est là justement la question. Le fait est que rien n’est changé et ne peut être changé dans la politique extérieure de l’Espagne. Que des esprits légers ou aventureux aient cru voir dans des incidens désavoués par notre gouvernement une occasion d’entraîner la politique espagnole dans des voies nouvelles et que le voyage du prince impérial d’Allemagne ait paru répondre en partie à cette préoccupation, qu’il ait en un mot ressemblé un moment à une manifestation contre nous, c’est possible. Il s’en faut pourtant que ce soit là une politique si facile, puisque, depuis le commencement da voyage tout le monde paraît se faire un devoir d’éviter tout ce qui pourrait éveiller les susceptibilités de la France. Le prince Frédéric-Guillaume lui-même aurait été, dit-on, le premier à montrer une courtoisie particulière à notre ambassadeur, à parler dignement de notre pays, et au moment même où se déroulaient les fêtes de Madrid, le nouveau représentant du roi Alphonse à Paris, M. le maréchal Serrano, duc de La Torre et M. le président de la république échangeaient les