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confection des lois, c’est bien ! mais qu’ils laissent au gouvernement le soin d’administrer les colonies, d’en surveiller les intérêts. Il faut que celui-ci mette fin au pouvoir absolu que s’attribuent certains conseils coloniaux, au mépris de toutes les lois; qu’il prépare une nouvelle constitution coloniale dans laquelle les attributions seront nettement définies et séparées; qu’il oblige les assemblées locales à se soumettre, comme les conseils généraux français, au contrôle d’une autorité supérieure, assez forte pour les empêcher de dépasser le mandat qui leur appartient. Or il ne pourra le faire qu’à la condition de résister à cette pression des députés sous laquelle il est écrasé aujourd’hui. Tout le monde est d’accord pour reconnaître qu’il serait utile de créer un ministère spécial des colonies. Mais on hésite à le faire, parce qu’on craint que les députés ne s’en emparent et que le ministre nouveau ne se plie à toutes leurs exigences, lesquelles seraient désastreuses. Dans l’état actuel de nos mœurs parlementaires, la création d’un ministère spécial aurait, en effet, bien des inconvéniens. On a proposé et essayé une solution intermédiaire, qui consistait à rattacher au ministère du commerce les services coloniaux. Mais le ministère du commerce n’a pas par lui-même une raison d’être suffisante, et les titulaires qui l’occupent ne possèdent peut-être point le prestige nécessaire pour se mettre au-dessus des intrigues parlementaires et des influences de députés. Il serait préférable, comme on l’a également proposé, de confier au ministère des affaires étrangères, le plus important et le plus recherché de tous, la direction des colonies et de la marine commerciale. Il a déjà sous la main les consuls, vrais gouverneurs de nos colonies commerciales, répandus dans le monde entier et dont le personnel renouvelé, modifié, mieux inspiré, pourrait fournir des choix excellens pour les gouverneurs des colonies territoriales. C’est d’ailleurs à lui qu’incombe la solution des questions internationales soulevées fréquemment par nos résidens à l’étranger et par nos capitaines de navires au long cours, ainsi que les conflits incessans que la création de colonies nouvelles ou le développement de colonies anciennes soulèvent entre les puissances étrangères et la France. On a pu constater bien des fois, dans ces dernières années, combien il était fâcheux que ses agens n’eussent point de rapports avec les agens coloniaux. On a vu, par exemple, au début des complications du Tonkin, un ministre de France à Pékin laissé absolument sans nouvelles de ce qui se passait dans le Delta du Song-Koï et en Cochinchine. Le gouverneur de cette dernière province, les officiers de marine du Tonkin, n’ayant aucune relation avec lui, n’ont pas pu l’informer de leurs actes et de leurs projets, et le ministère des affaires étrangères n’a pas songé qu’il fût utile de suppléer à leur silence; chacun a agi de son côté ; ce qu’il en est résulté, tout le monde le sait !