Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous n’étudie les questions coloniales, comme aucun ministre ne saurait les traiter avec compétence, comme aucun d’ailleurs ne s’en occupe d’une manière spéciale, en réalité, chaque député colonial impose au gouvernement toutes les mesures qui lui plaisent. On ne peut le contredire faute de connaissances ni le contrarier faute d’énergie. Le mal est d’autant plus grave que les députés des colonies, par suite de la précipitation avec laquelle les solutions les plus radicales ont été adoptées dans l’organisation du régime colonial, sont souvent les représentans d’une simple minorité comme en Algérie, ou d’une majorité très inférieure, moralement et matériellement, à la minorité, comme dans les Antilles. En Algérie, les Arabes et les étrangers n’étant pas représentés, ce sont les mandataires d’un petit nombre de colons, occupés uniquement de leur intérêt personnel, qui imposent à notre pays une politique aussi absurde que barbare, dont le résultat infaillible, si l’on n’y prend garde, sera de créer une Irlande africaine de l’autre côté de la Méditerranée. Dans les anciennes colonies à esclaves, la manière dont l’esclavage a été aboli brusquement, sans mesures de transition, et dont le droit de suffrage a été accordé aux noirs émancipés, a mis le pouvoir entre les mains de gens aveugles, désireux de se venger d’une longue servitude, animés de passions brutales que ne peut tempérer un patriotisme par trop récent et incomplet. Aussi les descendans des anciens colons, les vieux Français, s’y voient-ils opprimés par des assemblées locales omnipotentes contre lesquelles le gouverneur, délégué du pouvoir métropolitain, représentant de l’union des colonies à la mère patrie, est impuissant. Nommé sur la désignation des députés, il n’est que leur instrument. A coup sûr, rien n’est plus malheureux qu’un pareil état de choses. L’assimilation des colonies avec la métropole ne saurait se faire que graduellement et à la longue. Il aurait fallu ne leur accorder ni députés ni sénateurs, ne leur donner qu’un simple conseil général, en laissant aux gouverneurs le veto suspensif, et, au besoin, dans des cas prévus, le droit d’imposer l’adoption de certaines mesures. On a émancipé des enfans, en les chargeant eux-mêmes de choisir leurs tuteurs, il en est résulté que, dans des terres françaises, fécondées par notre génie et notre sang, ce sont des noirs, esclaves hier encore, qui compromettent le présent et menacent l’avenir.

Il est difficile ou plutôt impossible de revenir sur un régime sanctionné par la constitution. Priver les colonies de sénateurs et de députés, après leur en avoir accordé pendant plusieurs années, serait vouloir provoquer chez elles de dangereux désordres. Mais il n’est que temps de réduire ces sénateurs et ces députés au rôle qui leur appartient. Ils ne sont pas autre chose que leurs collègues, ils n’ont pas d’autres droits qu’eux; qu’ils prennent part à la