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modèle toutes les qualités supérieures permettra naturellement d’avoir sur l’arme par excellence une opinion différente selon qu’on donnera plus de valeur à tel avantage qu’à tel autre.

Il ne faut pas attribuer trop d’importance, comme on l’a fait souvent, à certains élémens, à ce que, — par exemple, — la vitesse du tir d’un fusil se chargeant en trois mouvemens soit de plus de 20 coups par minute (le fusil suisse à répétition a atteint 34 coups par minute). En effet, il y a pour employer chaque modèle des gens particulièrement exercés à son maniement et qui, avec lui, atteindront un maximum. Il faut prendre pour base l’effet normal. Celui-ci dépend du nombre et de la nature des mouvemens de la charge. A nombre égal, la vitesse se balance à peu près. De même aussi, pour ce qui est de la précision, il y a peu de différence entre des armes ayant des canons rayés, approximativement identiques au point de vue du calibre et de la cartouche.

Mais on peut admettre en toute sûreté que le fusil qui remplira le mieux les services qu’on est en droit d’en attendre sera le fusil porté par un homme connaissant à fond les propriétés d’une arme à feu de précision et de vitesse de tir et qui comprendra le plus complètement la manière de les utiliser.


L’écrivain suisse souligne cette dernière phrase pour appuyer sur ce devoir qui s’impose impérieusement, de développer au plus haut point possible l’adresse et la science des tireurs. Il lui sied d’en parler, car il appartient à un pays où on ne néglige rien pour maintenir et accroître encore un goût séculaire pour les exercices de tir. Déjà, en 1474, un édit du gouvernement de Genève institue des prix pour les concours. En 1499, pour stimuler le goût des armes à feu auxquels on continuait à préférer la pique, la hallebarde et l’arbalète, le conseil de Berne accorde une haute paie à tout propriétaire d’arquebuse. Dès 1563, le même gouvernement réglemente des concours à la carabine (arme rayée) et décide que des prix spéciaux leur seront attribués. En 1605, un grand tir de société à l’arquebuse et au mousquet a lieu à Bâle (2-17 juin). Y sont convoqués, outre les confédérés, les tireurs d’Autriche, du Wurtemberg, du margrave de Bade et des villes libres de l’Empire. Le premier prix était de 300 florins pour le mousquet et de 133 florins pour l’arquebuse. Voilà comment s’est développée en Suisse la pratique du tir. Il serait assurément « ridicule de dire que tout Suisse soit un tireur, » — c’est le colonel Schmidt qui s’exprime ainsi, — mais nulle part la connaissance des armes portatives et de leur emploi n’est plus répandu. En France, au contraire, le nombre des citoyens qui s’y exercent en dehors du régiment est presque insignifiant. Il y a pourtant eu de réels progrès faits en ces dernières années. On comptait 37 sociétés de tir en 1870, on en comptait 232 au commencement de 1883.