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les administrations. Un Français qui s’exilera, qui consentira aux plus lourds sacrifices, qui s’exposera aux plus grands dangers pour aller accomplir les missions scientifiques dont la France tire tant de gloire, se verra sans cesse préférer des rivaux moins héroïques vivant en repos dans leur cabinet, travaillant à loisir, à l’abri de tous les périls, dans une complète sécurité de corps et d’esprit. Dès qu’un Français a passé la frontière, il semble qu’il perde sa nationalité aux yeux de ses compatriotes. On le traite du moins comme un étranger, ou plutôt moins bien qu’un étranger, car on ne se croit plus obligé d’avoir des égards pour lui. Et l’on s’étonne, après cela, que tous les hommes de valeur hésitent à émigrer ! Il faut certainement un grand courage pour surmonter les préjugés que nos mœurs opposent à l’émigration. Bien peu le possèdent. C’est pourquoi nos administrations extérieures sont déplorablement composées. Si les gens distingués et irréprochables hésitent à en faire partie, en revanche, toute personne qui a eu en France ce qu’on appelle des malheurs se croit en droit d’y entrer. Que de fois n’ai-je pas vu en Égypte, au moment du contrôle anglo-français, des caissiers en rupture de caisse, des faillis, des banqueroutiers venir demander une place dans les administrations égyptiennes ! Ils exposaient leurs titres avec une franchise étonnante. Quant à leur faire comprendre que nous étions en Égypte afin d’apprendre aux indigènes la régularité et l’honnêteté dans la gestion financière et que, pour un pareil enseignement, il fallait des professeurs immaculés, c’était une entreprise inutile. Tous étaient persuadés qu’ils s’étaient rendus dignes des fonctions qu’ils convoitaient, qu’on ne pouvait les leur refuser que par une criante injustice et par un acte antifrançais.

Cette détestable composition de notre personnel extérieur est augmentée encore par l’ingérence directe des députés dans le choix de ce personnel et dans la manière de le diriger. Le mal dont nous souffrons le plus en France, depuis quelques années, celui qui a faussé chez nous tous les ressorts parlementaires et détruit jusqu’à l’idée de gouvernement, c’est l’usurpation du pouvoir administratif par la chambre. Personne n’ignore qu’à l’heure actuelle, les députés, au lieu de se borner à faire les lois, ce qui est leur mission, ont mis en quelque sorte la main sur les ministres, qui sont devenus de simples commis. Ceux-ci n’ont qu’une autorité illusoire ; ils ne font rien, ils n’osent rien faire sans l’autorisation des membres de la majorité. En réalité, chaque député règne, gouverne et administre son département par l’entremise du ministre, agent soumis à ses volontés. Mais cet abaissement, ou plutôt cette destruction de la puissauce exécutive sont encore plus sensibles, encore plus dangereux dans les colonies que dans la métropole. Comme personne chez