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les termes du problème qu’on se pose habituellement. Mais l’économie obtenue par ce moyen serait faible ; les sentimens égalitaires de l’armée seraient péniblement froissés, et non sans raison ; enfin l’unité d’armement si désirable, — car nulle part la simplicité n’importe plus que dans les choses de la guerre, — et peut-être aussi l’unité d’approvisionnement seraient compromises.

Il ne faut pas se dissimuler que le tir déréglé des premières rencontres finira par se régler de lui-même lorsqu’on n’aura plus besoin de s’étourdir pour être brave, lorsqu’on aura reconnu que l’ennemi s’est enhardi par suite de l’inefficacité du tir, lorsqu’on se sera familiarisé avec son armement, lorsqu’on aura appris à ménager ses munitions. On se formera sur le champ de bataille. Les soldats actuellement ne sont pas prêts à entrer en campagne, mais ils sont rendus aptes à se former rapidement après quelques jours de marche et quelques combats. Ils sortent du régiment comme un collégien sort du lycée : il ne connaît pas la vie, mais il a acquis un bagage de connaissances suffisant et assez de philosophie pour en affronter l’épreuve et pour devenir rapidement un homme, du moins si son éducation a été bien conduite et s’il a su en profiter. Les us d’autrefois maintenaient le troupier en haleine, toujours sur le qui-vive ; il ne s’endormait que tout armé, comme au corps de garde. Le réserviste de notre époque ne ceint le ceinturon et ne prend son fusil qu’au moment où il lui faut venir compléter son instruction pratiquement. Il sera donc un peu emprunté au début, mais il s’améliorera vite. À forger, on devient forgeron, À force de tirer, il finira par devenir tireur : son impétuosité se calmera, et progressivement le tir en quantité se transformera en tir en qualité. Il faudrait donc à ce moment lui reprendre son fusil grossier et lui donner une arme plus parfaite. C’est à quoi on ne saurait guère songer.

Ainsi l’arme moderne doit avoir à un haut degré deux qualités distinctes : la vitesse et la précision. On utilisera la première dans les commencemens d’une campagne et l’autre plus tard, lorsque les troupes auront pris un peu d’aplomb. Il est clair d’ailleurs que la réunion de ces deux qualités sera toujours avantageuse : il est bien des cas où on pourra tirer parti à la fois de l’une et de l’autre.

Or, pour l’une et l’autre, il est désirable que le calibre soit faible : c’est, en effet, le seul moyen d’avoir la vitesse, qui ne va pas sans une grande consommation de munitions, et c’est l’un des meilleurs moyens d’avoir, — indépendamment de la portée, — les deux principales qualités balistiques : la justesse, qui donne la certitude d’atteindre si on a bien visé, et la tension de la trajectoire, qui donne le plus de chance d’atteindre si on a mal visé.