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(1864), pendant cette ère de recueillement et de silence, de repliement et de concentration, Dreyse arriva à faire adopter son fameux fusil à aiguille. Il avait pris dans l’atelier de Pauly, chez lequel il avait travaillé vers 1809, l’idée du chargement par la culasse; mais la grande originalité, le caractère saillant de son invention est dans l’emploi d’une cartouche complète contenant, réunis dans une même enveloppe en papier, l’amorce, la charge et le projectile.

On obtenait ainsi une double économie de temps. Avec le chargement par la bouche, il fallait que le soldat plaçât l’arme en face du corps, la crosse entre les pieds, qu’il prît la cartouche, la balle et la capsule dans sa giberne, qu’il déchirât la cartouche et en versât la poudre dans le canon, qu’il retirât la baguette de son canal et la remît en place après avoir bourré, qu’il relevât son arme et qu’il plaçât la capsule sur la cheminée après l’avoir mise à découvert. Maintenant, il suffisait d’ouvrir la culasse, d’y introduire la cartouche et de la refermer. Il faut pourtant bien avouer que la rapidité du tir n’y gagna pas énormément. Les mouvemens du mécanisme de culasse étaient lents et durs. La vitesse normale de tir était fixée à cinq coups par minute seulement : il est vrai qu’on aurait pu facilement atteindre un maximum plus élevé. Mais ce n’était pas tant la vitesse, c’était surtout la justesse que Dreyse avait eu en vue d’obtenir. Avec le fusil se chargeant par la bouche, il arrivait que le soldat laissât tomber une partie de la poudre de la cartouche soit accidentellement, soit intentionnellement, pour éviter la violence du recul ; pour les mêmes raisons, la balle était plus ou moins enfoncée. De ces causes résultaient de grandes irrégularités dans le tir, et c’est en grande partie pour les éviter qu’on avait adopté en Prusse, en 1841, le chargement par la culasse[1].

La rapidité du tir, en effet, loin d’être recherchée à cette époque, était bien plutôt redoutée. « A côté des avantages du chargement par la culasse, disait le Cours de tir de 1862, ouvrage alors réglementaire, il existe un inconvénient qui ferait peut-être rejeter l’usage de ces armes, au moins pour l’infanterie, lors même que leur solidité et leur facilité d’entretien seraient reconnues incontestables ; c’est que leur tir est susceptible d’une grande rapidité, et il est à craindre que des soldats peu aguerris ne brûlent mal à propos trop de munitions et ne se trouvent hors d’état de répondre au feu de l’ennemi au moment le plus critique. Pour conjurer autant

  1. La Norvège, — qui aujourd’hui encore, avec le fusil Jarmann récemment adopté, tient la tête du progrès, — fut la seule nation qui se décida à suivre cet exemple. Elle adopta le chargement par la culasse dès 1842. A la vérité, il avait été admis en France, mais seulement pour les fusils de rempart.