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plaît à Marivaux de croire originales, parce qu’elles lui sont devenues une seconde nature, mais qui lui sont communes avec tous les précieux, — comme la manie d’aller jusqu’au bout des métaphores et comme la manie d’épuiser les comparaisons, — sont bien incontestablement des façons d’écrire et non pas du tout des façons de penser. Et pourtant il y a dans ses apologies quelque air de vérité. Si certaines fibres plus ténues et cachées plus profondément ne peuvent être atteintes, isolées, mises à nu que par des instrumens très délicats et des mains très adroites, il est également vrai que certains sentimens, plus complexes et plus subtils, ne peuvent être eux aussi démêlés et exprimés qu’au moyen d’un style très délié. C’est la condition même de l’observation morale. Il faut pénétrer très avant dans le secret des consciences, et, comme disent les psychologues, il faut faire grande attention de ne pas détruire, en s’y prenant trop brutalement, le sujet même de l’observation. Une alliance inattendue de mots, un tour de phrase inaccoutumé, des expressions singulières ne sont alors souvent que « la conséquence bien exacte, » et pour ainsi dire la figure fidèle de ce que l’on a découvert de singulier, d’inaccoutumé, d’inattendu lui-même. Et s’il y faut quelquefois, à ce qu’il semble, beaucoup de mots pour assez peu de choses, c’est que l’on n’aurait pas confiance à la réalité de la découverte si le chercheur ne nous faisait refaire, avec lui, pas à pas, les chemins qui l’y ont mené. Quels que soient les défauts du style de Marivaux, on peut donc admettre avec lui qu’ils tiennent assez étroitement à la nature de son observation. Le marivaudage n’est quelquefois qu’une façon de s’exprimer, il est souvent, et plus souvent peut-être, une façon de sentir; seulement, il y a deux points dont Marivaux ne tient pas assez de compte.

Rien de plus légitime, en effet, que de l’attaquer d’abord sur la nature de cette observation. Ce qui ne se peut exprimer qu’aux dépens de la clarté du discours, du bon usage de la langue, et de la manière générale de parler vaut-il vraiment la peine d’être exprimé? Certaines nuances du sentiment, tantôt morbides, et tantôt artificielles, valent-elles la peine d’être étudiées? Mais surtout, si le moraliste, si le psychologue, si le philosophe y peuvent prendre intérêt, ou si même elles sont la matière propre de leur observation, sont-elles, et peuvent-elles être également la matière de la poésie pure, ou du drame, ou du roman? C’est une question qui n’est pas encore précisément résolue. Ou plutôt elle l’est, et elle l’est contre Marivaux, en ce sens que l’exemple des maîtres est là pour nous prouver que plus les nuances du sentiment sont fugitives et subtiles, plus les mots qui servent à les fixer ou les saisir au passage doivent être eux-mêmes généraux, abstraits et décolorés. D’autres que Marivaux, et dans son siècle même, ont scruté le