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de son village pour entrer au service d’un gros financier, son seigneur. Il n’y a pas plus tôt fait son apparition, que, du salon jusqu’à la cuisine, les filles de chambre de Madame, et Madame elle-même, tout le sexe de prendre feu. Jacob se décide pour Mlle Geneviève, lui fait accroire qu’il en tient pour elle, commence par empocher son argent, lequel provient des libéralités du maître, dont elle est quelquefois le caprice, et finit par la planter là : c’est son premier exploit. Monsieur meurt. Madame est ruinée; Jacob se retrouve sur le pavé. Comme il traverse le Pont-Neuf, il aperçoit une femme qui se sent mal ; il y court, l’aide à se remettre, la considère, la trouve « fraîche et ragoûtante » en dépit de la « cinquantaine ; » et s’offre à la raccompagner. Nouvelle conquête : Mlle Habert la cadette, en un tour de main, est devenue éperdument amoureuse de ce superbe laquais. Pour l’épouser, car elle est fille d’honneur, elle se brouille avec son directeur d’abord, le respectable M. Doucin, se sépare de sa cuisinière, la désagréable et revêche Catherine, se fâche enfin avec sa sœur, Mlle Habert l’aînée, comme on l’appelle, et s’en va, Jacob au bras, chercher un logement quelque part où ses fantaisies d’arrière-saison soient moins ennuyeusement contrariées. La nouvelle hôtesse de Jacob, Mme d’Alain, a une fille; c’est cette graine « d’impure » dont nous avons mis le portrait sous les yeux du lecteur, Agathe, la gentille Parisienne du XVIIIe siècle, qui deviendra, s’il plaît à un imbécile, marquise de Saint-Chamond, comme la Mazarelli, ou comtesse de Lagarde, comme la demoiselle de Saint-Phallier. Elle ne manque pas, comme les autres, à s’éprendre de Jacob ; jeunes ou vieilles, Jacob n’a qu’à paraître. Cependant le mariage ne va pas aussi vite que l’avaient souhaité les vœux de Mlle Habert ; divers incidens en retardent la conclusion; il faut invoquer tour à tour de hautes protections, celle de Mme de Ferval pour vaincre les oppositions; et quand elles sont vaincues, celle de Mme de Fécour pour placer le beau Jacob. Mme de Ferval est conquise par Jacob, un coup d’œil en a fait l’affaire, et Mme de Fécour après elle, il n’y a fallu qu’un sourire; quel homme que ce coq de village et quel bourreau des cœurs!!.. Voilà le Paysan parvenu, que Marivaux n’a pas pris la peine d’achever.

Il a bien fait ; et je n’imagine pas que personne soit tenté de le lui reprocher. C’était assez, c’était même déjà trop. Un pareil sujet n’est pas seulement libertin, mais honteux. Je ne comprends donc pas que le dernier biographe de Marivaux ait pu laisser échapper cette phrase : « qu’il y avait plus d’élévation en dix pages du Paysan parvenu que dans tout Gil Blas, et que Jacob est une âme d’élite en comparaison de son émule. » — « Ame d’élite? » M. Larroumet veut rire! et voilà singulièrement placer l’âme ! Où sont-elles ces dix pages? Est-ce l’histoire des amours de Jacob avec Mlle Geneviève? ou l’histoire