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Motte supérieures à celles de La Fontaine, tient école de marivaudage, fait profession de s’exprimer « avec une élégance admirable, » est écoutée comme un oracle, et achève enfin, dit Le Sage, — à qui nous empruntons la plupart de ces traits, — d’initier les débutans et les candidats à l’Académie française à toutes les délicatesses du « langage proconchi : » une langue admirable, ajoute-t-il, une langue vivante, une langue harmonieuse, et seulement chargée d’un peu plus de « métaphores » et de « figures outrées » que le biscaïen lui-même, lequel, comme chacun sait, brille surtout par la simplicité[1]. Marivaux a-t-il fréquenté chez Mme de Lambert? C’est probable. Les biographes le disent, et, s’ils ne le prouvent pas, il suffit qu’à défaut de raisons démonstratives nous en ayons la certitude morale. Marivaux est un des plus brillans élèves de Mme de Lambert, et, s’il n’a pas été du nombre des habitués de ce fameux salon, c’est le cas de dire qu’il était digne d’en être.

J’avais toujours été frappé, quand il m’arrivait de parcourir Pharsamon lui-même, et plus particulièrement le second des romans de Marivaux : les Effets surprenans de la sympathie, d’un certain air de ressemblance vague avec je ne sais quoi de déjà lu. Je connaissais ces aventures, j’avais rencontré ces personnages; cette conception du roman ne m’était pas nouvelle, ni cette métaphysique, ni cette langueur, ni même ce style. La ressemblance avait bien un corps, puisque je ne suis pas seul à l’avoir aperçue. Les Effets surprenans de la sympathie, c’est la Clélie de Mlle de Scudéri, c’est la Polexandre de Gomberville, c’est peut-être surtout l’Astrée d’Honoré d’Urfé. L’œuvre est trop médiocre en elle-même pour qu’il soit utile, je ne dis pas de l’analyser, mais d’en rechercher plus curieusement les véritables origines. C’est seulement une preuve sans prix qu’en histoire aussi bien qu’en physique il est assez ordinaire aux mêmes causes d’opérer les mêmes effets ; et rien n’explique mieux comment trois ou quatre « caillettes » ont eu finalement raison de l’auteur de Gil Blas, de celui des Satires et de celui des Précieuses ridicules. Tous les trois, en effet, — pour des raisons générales tirées de la nature de leur art, et pour des raisons personnelles tirées de leur façon de vivre, de leur tempérament, enfin de leur métier, — tous les trois dans leurs attaques ont passé la mesure et le but. Ils n’ont pas voulu voir ou peut-être ils

  1. Les éditeurs de Gil Blas ont généralement reconnu le salon de Mme de Lambert dans celui de la marquise de Chaves (Gil Blas, livre IV, chap. VIII) ; mais, non content de cette première atteinte, Le Sage est revenu à la charge dans le Bachelier de Salamanque (chap. LXII). Quant au langage « proconchi, » ce serait, en réalité, le langage de quelques tribus indiennes de l’Amérique centrale, s’il en fallait croire Thomas Gage, l’auteur d’une Relation des Indes occidentales où Le Sage a puisé amplement pour son Bachelier de Salamanque.