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Pressés de toutes parts, en butte à des argumens chaque jour nouveaux et à des objections toujours renaissantes, qui menacent de détruire de fond en comble nos plus chères convictions, nous sommes condamnés à combattre pour elles sans trêve. Pourtant, si l’on y regarde de près, sous l’apparence de la critique, c’est un dogmatisme qui s’éprouve lui-même de cette façon et qui s’établit de plus en plus solidement par la discussion des théories contraires. Ce que nous avons défendu, c’est le droit pour l’esprit humain d’aborder les problèmes supérieurs et de mettre en harmonie avec la science nouvelle l’œuvre d’Aristote et de Leibniz sur les causes premières et les causes finales. Ce que nous avons défendu, c’est l’existence de l’esprit comme un principe de force irréductible dont les opérations sont liées sans doute au mécanisme cérébral, mais restent à la fois dépendantes et distinctes, dépendantes puisqu’elles ne peuvent se manifester sans un organisme, distinctes puisqu’elles sont irréductibles au mouvement. Ce que nous défendons, c’est l’existence d’une conscience qui centralise, je le veux bien, toutes ces petites consciences infinitésimales que l’on distribue dans les centres nerveux, mais qui leur est supérieure, comme la monade suprême de Leibniz l’est aux monades qu’elle régit. Ce que nous soutenons, c’est la réalité d’un sens moral, distinct de toute aptitude analogue, créée dans les espèces animales par la sélection, organisée en vue de l’utilité de l’espèce. Ce que nous n’avons pu laisser périr dans les théories zoologiques, non plus que dans les systèmes associationistes, c’est la raison, garantie par les idées nécessaires et par la conception de l’absolu, quelque concession que nous soyons disposés à faire, dans le détail, sur les formes successives et l’évolution historique de ces idées. Bien des problèmes nous échappent encore. Mais combien de problèmes aussi échappent aux sciences positives! Elles n’expliquent, quoi qu’on en ait pu dire, ni l’origine de la vie, la vie restant irréductible à la matière organique, ni la transformation des mouvemens en pensées, ni la transformation des sensations en idées nécessaires, ni la personnalité esthétique, ni la personnalité morale, ni l’héroïsme, ni le génie ; rien de tout cela ne peut être atteint par l’intermédiaire des connexions d’images, ni par les associations, ni par l’hérédité accumulée de Spencer. Elles ne rendent compte, dans la psychologie, que de la liaison de certains mouvemens de l’appareil cérébral avec telle ou telle opération mentale, sans expliquer ni ce mode de pensée ni ce mode d’affection. La psychologie cérébrale, dont je suis loin de méconnaître l’intérêt, ne s’interprète elle-même qu’à l’aide et avec les signes de la psychologie proprement dite. Elle n’a de sens que par elle; elle représente tout au plus des caractères de l’alphabet, qui