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monde ; la nature éternelle et fatale, ou la raison souveraine, libre, créatrice; une matière, une force aveugle, ou Dieu. Alors nous avons eu à nous demander si ce concept de la cause première, qui fait si intimement partie de la substance intellectuelle et de la vie morale de l’humanité, est déclaré impossible par les sciences de la nature. C’est une contre-épreuve négative que nous devions tenter, une vérification, si l’on veut, par la science positive, en tant que cette science ne contient pas une contradiction manifeste à cette intuition de la raison qui est en même temps un élément essentiel de l’histoire. Cette règle nous a semblé la bonne et nous l’avons constamment appliquée. Nous n’avons pas subordonné la vérité métaphysique à la vérité positive et expérimentale. Nous n’avons pas fait dépendre nos convictions des décisions de la physique et de la chimie, qui n’ont pas à décider directement dans les questions de cet ordre; mais notre devoir était de rechercher s’il est vrai, comme on le prétend, qu’il y ait incompatibilité absolue entre les faits d’un certain ordre et les résultats de l’investigation métaphysique. Or, la conclusion d’une longue et patiente étude, notre conviction absolue a été qu’il n’y a sur aucun point contradiction, et que toute contradiction apparente s’évanouit sous un examen plus approfondi, devant un regard plus libre.

Notre principe à l’égard des sciences positives dans ce genre de problèmes a été celui-ci : discerner en elles ce qui est un fait ou une loi de ce qui n’est qu’une assertion pure ou une hypothèse; laisser dans cet ordre de questions la parole entièrement libre et la dernière conclusion aux savans spéciaux ; nous bien garder de prendre parti dans telle ou telle controverse particulière (comme celle des générations spontanées ou celle de la métamorphose des espèces), par une sorte de prédilection périlleuse pour les inductions et les conclusions qui en peuvent être tirées. Or, en suivant ces principes, ce qui nous a paru évident, c’est que, quoi qu’il arrive, quelles que soient les révolutions de la science future, l’ensemble des phénomènes qu’elle étudie, le monde restera toujours ce que les Grecs ont appelé d’un si beau nom le Cosmos, c’est-à-dire un tout ordonné, conséquent, logique, parfaitement intelligible en soi, de plus en plus intelligible à mesure que le génie monte plus haut et s’avance plus loin ; enfin que l’esprit scientifique ne contredit en rien une pareille espérance. Qu’est-ce, en effet, que le véritable esprit scientifique, sinon la perception de la raison des choses, de la liaison des phénomènes, de l’ordre progressif des formes et des êtres, la contemplation expérimentale de l’harmonie universelle? Quoi qu’il arrive, on peut être assuré que ces bases ne seront point ébranlées ; l’étude du monde, à mesure qu’elle sera