Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/836

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son initiatrice. A la suite de ces conquêtes de l’érudition, la critique philosophique s’avançait d’un pas plus assuré dans ces régions, où elle avait à recueillir de précieux témoignages sur les origines de l’esprit humain, plus près des sources de l’histoire, là où la science place le berceau de l’humanité pensante.

Ce fut vraiment l’œuvre grande et durable de M. Cousin. Il ne faut pas la déplacer de peur de l’amoindrir ; mais il serait inique de refuser à un tel maître un grand rôle, celui d’initiateur à la philosophie, de révélateur des systèmes. Il propageait avec une verve admirable le goût des recherches et la passion des idées. Dans sa conversation toujours un peu solennelle et dramatique, il excellait à peindre les philosophes d’un mot, d’une grande image, souvent d’un grand geste qui complétait la pensée : l’histoire de la philosophie, ainsi animée par de si vives couleurs, devenait pour emprunter aux rites grecs leur beau langage, je ne sais quelle théorie sacrée qui s’avançait à travers les siècles, auguste et sévère comme la science, réelle et mouvante comme la vie. Chaque personnage de cette théorie était une idée sans doute, mais une idée qui avait vécu sous les traits d’un homme et qui avait reflété en lui quelque chose de son immortelle beauté. Ce qui valait mieux qu’une doctrine définie, ce qui agissait souverainement sur tous ceux qui approchaient de M. Cousin, c’était cette âme de feu qui aimait à se communiquer par la parole. Il avait le don de l’enthousiasme ; il en avait l’art aussi. Tel qu’il était, il fut vraiment un inspirateur.

Mais voici que, vers les dernières années de sa vie, un grand mouvement de curiosité vers les sciences de la nature se produisit parmi les générations nouvelles qui arrivaient à la vie philosophique. M. Cousin y resta étranger, et dès lors sa part d’influence, subsistante encore et gardée par son grand talent, se restreignit sensiblement. Sans rester en dehors des découvertes de la science positive, il se défiait du trouble profond que certaines illusions, nées de cette science, pouvaient produire dans la conscience et la raison publiques; il en redoutait le contact avec la philosophie, il se tint à l’écart d’elle dans un isolement volontaire et quelquefois attristé. Bien au contraire, le caractère marqué de la génération philosophique qui s’emparait alors de l’enseignement était cette vive préoccupation de la grandeur croissante et du progrès de ces sciences. C’est là qu’attirés par les découvertes chaque jour accrues sur les diverses manifestations de la vie ou les grandes lois du mouvement, ils établissaient un de leurs foyers d’études. Il ne s’agit pas, bien entendu, de comparer les talens nouveaux avec ceux qui les avaient précédés, mais seulement les tendances et les procédés. Or il est certain que les tendances avaient changé.