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tissait la montagne contre toute profanation. Mais il y avait d’autres ennemis à craindre : les Germains, qui dès le Ier siècle avant notre ère, menaçaient la Gaule. Les historiens romains nous ont décrit la formidable invasion des Teutons que Marius seul parvint à vaincre. Ils nous ont montré ces hommes de taille gigantesque, vêtus de peaux de bêtes, coiffés de mufles d’animaux effrayans ou bizarres, portant des panaches en forme d’oiseaux de proie pour se rendre plus effrayans. Ils nous ont fait entendre « leurs rugissemens, pareils à ceux des fauves. » Ils nous ont fait voir ces peuples cheminant avec leurs chariots, leurs trésors et leurs femmes, et se répandant « comme une mer soulevée. » Mais cette invasion ne fut pas la seule. Beaucoup d’autres la précédèrent et la suivirent. Ces hordes venaient du fond de la Germanie, par la forêt hercynienne, pour ravager la Gaule ; les Vosges recevaient le premier choc, les trésors du temple avaient de quoi tenter la cupidité des Teutons ; et c’est sans doute pour le protéger que les druides firent construire ce mur énorme. Une armée pouvait camper dans l’enceinte. Plus d’une fois, elle dut être attaquée et vaillamment défendue. La muette éloquence des lieux nous retrace encore une de ces batailles où le génie ardent de la Gaule luttait avec la Germanie envahissante comme avec les élémens déchaînés : les feux allumés sur les plus hautes cimes pour rassembler toutes les tribus de l’Est ; le mont de Bélen investi par les Teutons ; les attaques nocturnes ; les combats sur les avant-monts à coups de hache et de framée ; l’enceinte escaladée, franchie, le temple menacé ; les druides se jetant dans la lutte, flambeaux allumés ; la mêlée au hasard, corps à corps, dans le chaos des rochers et des bois, et l’ennemi enfin précipité de ravine en ravine.

Plus belles que les fêtes du solstice étaient les fêtes de victoire. Alors la montagne de la guerre redevenait la montagne du soleil. Elle se hérissait de tribus armées. Les premiers guerriers étaient admis dans l’enceinte du feu sacré qui brûlait au centre du temple circulaire sur une pierre noire tombée du ciel. Le soleil renaissant embrasait le temple, les forêts, les montagnes. Peut-être qu’un barde debout sous les colonnes chantait pour la circonstance un de ces hymnes dont les traditions irlandaises et galloises nous ont conservé des fragmens : « Il s’élance impétueusement, le feu aux flammes, au galop dévorant ! Nous l’adorons plus que la terre ! Le feu ! le feu ! comme il monte d’un vol farouche ! Comme il est au-dessus des chants du barde ! comme il est supérieur à tous les élémens ! Il est supérieur au grand être lui-même. Dans les guerres, il n’est point lent !… Ici, dans ton sanctuaire vénéré, ta fureur est celle de la mer ; tu t’élèves, les ombres s’enfuient ! Aux équinoxes, aux solstices, aux quatre saisons de l’année, je te chanterai, juge