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il fallut employer à leur égard des moyens plus coercitifs. Les officiers des cours de justice furent obligés de prendre pour 500,000 livres d’augmentations de gages, au capital de 9 millions, sous peine de ne plus être admis au paiement de l’annuel, c’est-à-dire sous peine de perdre l’hérédité de leurs offices[1]. Les recouvremens ne se faisaient pas sans difficultés[2]. Le contrôleur-général écrit le 29 août 1703 au premier président du parlement de Paris qu’il n’a pu se dispenser de faire connaître au roi que sa compagnie doit encore une somme considérable : « Sa Majesté l’a chargé de demander un état de ceux qui n’ont pas encore satisfait. Il craint bien qu’elle ne se souvienne dans la suite de ceux qui seront de ce nombre et qui n’ont pas témoigné leur empressement à fournir les sommes nécessaires pour soutenir le poids de la guerre. » Il écrit de nouveau le 11 décembre et fait entendre « que le roi finira par avoir recours à quelque mesure plus défavorable au parlement. » Le 18 janvier 1706, il mande à quatre conseillers du parlement de Bordeaux, qui n’ont pas encore payé leurs augmentations de gages que « Sa Majesté l’a chargé de faire savoir que son intention est qu’ils y satisfassent sans retard, faute de quoi on sera obligé de faire contre eux des poursuites. »

On usait encore de modération, on se bornait à des menaces à l’égard des conseillers des cours souveraines ; mais à la même époque (février 1706) le lieutenant-général au bailliage de Torigny, signalé par l’intendant comme refusant depuis trois ans de payer ses augmentations de gages et comme s’étant même porté à des violences contre l’huissier et les recors employés par le receveur-général, fut envoyé au château de Caen, et il ne fut relâché (le 13 mars) qu’après s’être entièrement libéré.

Les augmentations de gage avaient cela de singulier qu’elles pouvaient être acquises et possédées par d’autres que par le titulaire de l’office. C’est le contrôleur-général qui l’indique dans une lettre du 22 décembre 1689, et il en donne le motif : « On a créé des gages héréditaires, afin que les officiers qui ne pourront pas les acquérir eux-mêmes jouissent les faire acquérir par d’autres, et il est juste que, dans des conjonctures comme celles-ci, tout le monde soit intéressé à procurer au roi, par soi ou par autrui, les secours dont Sa Majesté a besoin. »

Cependant le capital que pouvaient fournir les officiers publics en exercice était nécessairement limité, soit qu’il provînt de leurs propres fonds, soit qu’ils l’empruntassent, soit qu’ils se substituassent,

  1. Forbonnais, t. II, p. 126.
  2. Lettres du premier président du parlement de Metz (18 février 1703), et du premier président de la cour des aides de Rouen (24 février 1703) au contrôleur général.