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a 2,846,104) achète pour près de 80 francs de marchandises françaises par tête, et un Américain du Nord n’en achète que pour 6 fr. 50, A qui fera-t-on croire que ce soit là une situation normale? Quoi! dans toute une année, ce peuple américain, si riche dans toutes ses parties, où les capitalistes ont des fortunes si colossales, où les ouvriers reçoivent des salaires si élevés, n’achète que pour 6 fr. 50 de marchandises françaises, soit pour 0 fr. 12 par semaine ou pour 0 fr. 01 1/2 par jour! Si, par un ensemble de circonstances heureuses, les Américains venaient à faire par tête une aussi grande consommation de nos articles que les Suisses, notre exportation en Amérique atteindrait en chiffres ronds 4 milliards de francs, c’est-à-dire qu’elle dépasserait, à elle seule, le montant de l’exportation totale annuelle de France. Voici l’idéal : amener les Américains à être pour nous d’aussi bons cliens que les Suisses. Certes, entre la chétive situation actuelle et l’idéal, il y a bien des échelons. Mais si l’on se rapprochait de cet idéal, quelle somme de travail et de bien-être ce serait pour la population française! Les ministres et les préfets n’auraient plus besoin alors de s’occuper d’émettre des emprunts et de demander des crédits pour faire aller les industries parisiennes, d’installer plus ou moins des ateliers nationaux et de surcharger les contribuables pour répandre parmi certaines catégories d’ouvriers des aumônes dépréciées. Voyez donc les choses de haut : on n’est homme d’état que lorsqu’on voit les choses de haut et de loin. Vous faites de la petite besogne, de la besogne de petits commis. Voyez de haut et de loin : le problème économique n’est pas dans les minuties où l’on se complaît. Faites un traité de commerce avec les États-Unis et vous aurez gagné une grande partie, vous aurez fait une œuvre de maître : cela vous délivrera de bien des petits soucis. »

On ne saurait mieux dire : le socialisme d’état, qui use en quelque sorte les capitaux sur eux-mêmes, est la plus détestable des politiques ; la liberté commerciale unie à l’expansion nationale qui les répand sur le monde pour qu’ils en reviennent centuplés est la plus féconde, la plus puissante, la plus réellement démocratique des politiques. Nous devrions être les champions décidés, incorrigibles de l’abaissement des tarifs; nous devrions négocier des traités de commerce avec toutes les nations étrangères, à commencer par l’Angleterre et par les États-Unis. Et si nous rencontrions des résistances, si certains peuples refusaient de conclure avec nous des traités, eh bien ! nous devrions quand même diminuer, au besoin supprimer spontanément les droits qui frappent à leur entrée en France les produits de ces peuples, car ils sont entièrement à la charge de notre pays; ils s’ajoutent aux frais généraux et augmentent le prix de revient de tous les articles de notre industrie