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ainsi à engager le trésor dans la voie funeste et ruineuse où il ne fut plus possible de s’arrêter jusqu’à la mort de Louis XIV.

Pontchartrain n’était cependant pas un homme sans mérite. Lorsqu’il quitta le contrôle-général, il fut élevé à la dignité de chancelier, et il exerça pendant quatorze ans ces hautes fonctions, plus appropriées à ses connaissances et à son esprit. Les lettres et les documens qu’il a laissés donnent la preuve d’une capacité et d’une vigilance qui lui assignent un rang élevé parmi les chanceliers de l’ancienne monarchie.

Il fut remplacé par Chamillart, dont les historiens, les mémoires, les légendes reconnaissent la parfaite honorabilité, le caractère aimable et doux, mais attestent, en même temps, le peu de capacité et la faiblesse dans les affaires publiques. Conseiller au parlement de Paris en 1676, à vingt-cinq ans, a sa fortune fut d’exceller au billard[1] ; « Saint-Simon raconte comment « Louis XIV, s’amusant fort de ce jeu, » M. de Vendôme, M. Le Grand, le maréchal de Villeroi, le duc de Grammont, qui faisaient sa partie tous les soirs, obtinrent que Chamillart « fut admis une fois pour toutes dans la partie du roi où il était le plus fort de tous. » Sa douceur, sa modestie, ses qualités aimables ne tardèrent pas à lui gagner les faveurs du roi et celles de Mme de Maintenon. Maître des requêtes et intendant de Normandie en 1686, il devint, en 1689, intendant des finances, et on pouvait penser que ces importantes fonctions, exercées pendant dix ans, l’avaient préparé à celles de contrôleur-général. Louis XIV voulut donner, en outre, à Chamillart la succession de Barbezieux au ministère de la guerre comme il avait autrefois donné à Pontchartrain la succession de Seignelay à la marine. Le contrôleur-général représenta vainement « l’impossibilité de s’acquitter de deux emplois qui avaient occupé tout entiers Colbert et Louvois ; mais c’était le souvenir de ces deux ministres et de leurs débats qui faisoit vouloir obstinément au roi de réunir les deux ministères[2]. » Il s’applaudissait « d’avoir mis sur de si faibles épaules deux fardeaux dont chacun eût suffi à accabler les plus fortes. »

Saint-Simon, qui cependant avait de l’amitié pour Chamillart, le juge sévèrement[3] : « C’étoit un bon et très honnête homme à mains parfaitement nettes et avec les meilleures intentions, poli, patient, obligeant, bon ami, ennemi médiocre, aimant l’état, mais le roi sur toutes choses et entièrement bien avec lui et avec Mme de Maintenon ; d’ailleurs très borné et, comme tous les gens de peu d’esprit et de lumière, très opiniâtre, très entêté… Sa capacité

  1. Mémoires de Saint-Simon, tome II, page 231.
  2. Ibid., page 420.
  3. Ibid.