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pour les constructions coûteuses. « Sully, dit Voltaire, avait enrichi l’état par une économie sage, que secondait un roi aussi parcimonieux que vaillant, un roi, soldat à la tête de son armée et père de famille avec son peuple ; Colbert soutint l’état malgré le Iuxe d’un maître fastueux qui prodiguait tout pour rendre son règne éclatant. »

Quand Colbert mourut, sa ferme et courageuse résistance à l’excès des dépenses lui avait aliéné la faveur royale ; sa passion pour l’ordre et la régularité lui avait créé de vives inimitiés ; quelques impôts établis pour subvenir aux dépenses de la guerre de Hollande et son esprit de fiscalité avaient excité contre lui l’irritation populaire. « On fut obligé de l’enterrer pendant la nuit pour éviter les insultes du peuple, qui lui imputait les impôts dont il était écrasé[1]. » Cependant sa mort était un malheur public ; on ne tarda pas à s’en apercevoir.


I. — LES SUCCESSEURS DE COLBERT.

Colbert n’était pas seulement contrôleur-général des finances : il était aussi ministre de la marine et surintendant des bâtimens et des arts. À sa mort, ces importantes fonctions furent divisées : son fils, le marquis de Seignelay, lui succéda à la marine, et la surintendance des bâtimens fut réunie au ministère de la guerre entre les mains de Louvois, qui, jaloux de conserver la faveur du roi, ne tarda pas à flatter sans mesure sa passion pour les grands travaux, Versailles manquait d’eau ; il entreprit d’y amener les eaux de l’Eure au moyen d’aqueducs gigantesques dont on voit encore les ruines à Maintenon : 20,000 hommes pris dans l’armée y travaillèrent pendant deux ans. Les dépenses des bâtimens, qui ne dépassaient pas 6 millions en 1682, s’élevèrent à 15 en 1686.

Louvois était tout-puissant ; son parent, Lepeletier, ancien prévôt des marchands, fut chargé de l’administration des finances. Honnête, juste, bienveillant, mais sans activité et sans énergie, il était hors d’état de résister à l’influence prépondérante de Louvois, auquel il devait sa nomination : ne pouvant arrêter ou tout au moins modérer les dépenses, il n’avait qu’à subvenir au moyen de les payer.

Ses premières opérations financières furent peu heureuses[2]. La mort de Colbert ébranla le crédit de la caisse des emprunts, qu’il avait fondée. Les fonds qu’elle avait réunis pour les mettre à la disposition du trésor furent successivement réduits à 20 et à

  1. Guizot, Histoire de France, tome IV, page 381.
  2. P. Clément, le Gouvernement de Louis XIV, page 80.