Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la France, ce n’est pas une raison pour la différer, ni surtout pour l’écarter définitivement. »

On ne peut, d’ailleurs, être bien touché de cette horreur affectée qu’inspirent les sociétés financières. Il est trop évident que si l’on désire si hautement voir l’état se charger de toutes les entreprises au dedans et au dehors, c’est qu’au fond du cœur chacun se dit : L’état, c’est moi! Un régime où les chemins de fer tomberaient aux mains de l’état, où les travaux publics, où les grandes concessions intérieures et extérieures lui appartiendraient directement, ne serait-il pas la plus féconde des vaches à lait pour tous ceux qui, de près ou de loin, touchent au pouvoir? L’état n’est point un être de raison, une entité métaphysique; il se compose des personnes qui tiennent le gouvernement, c’est-à-dire, chez nous, de ces chambres si scrupuleuses dont M. Paul Leroy-Beaulieu combat l’excessive sévérité, et des ministères qu’elles créent et renversent à leur gré. Dieu nous préserve de voir un jour toutes les industries, comme toutes les administrations, peuplées des cliens et des favoris du parlement! L’initiative privée a ses dangers, elle a même ses vices ; mais elle peut seule créer, sur tous les points du globe, des intérêts français considérables, que l’état doit se borner à soutenir, à défendre contre les compétitions étrangères. Les plus grandes œuvres de ce siècle, le percement de l’isthme de Suez par exemple, ont été faites par des sociétés financières. A l’heure actuelle, il n’y a que des sociétés financières qui soient en mesure de créer des comptoirs, d’organiser des factoreries, de faire naître un commerce partout où nos explorateurs et nos soldats ouvrent des débouchés. L’état n’a pas à prendre leur place. En revanche, il a le devoir de les protéger. La politique des intérêts est la conséquence obligée de la politique coloniale. Une nation qui fonde des colonies, qui développe dans le monde entier son action industrielle et commerciale, est inévitablement entraînée à préserver sa richesse des attaques de l’envie et de la mauvaise foi. Les radicaux le nient avec colère ; à leurs yeux, toute entreprise française à l’extérieur étant une spéculation plus ou moins honteuse, mérite d’être abandonnée aux chances les plus fatales de la fortune. S’ils venaient à l’emporter parmi nous, personne ne voudrait plus s’exposer à être volé et pillé au loin sans que la France y fît la moindre attention. On s’enfermerait donc dans nos frontières, où l’on étoufferait peu à peu faute d’alimens.

Mais il existe une autre forme de socialisme qui n’est pas moins dangereuse aujourd’hui que celle en vertu de laquelle toutes les grandes entreprises devraient être dirigées par l’état. On a découvert, depuis quelques années, que l’état avait le devoir de venir