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publique. Il a préféré M. Fallières comme plus inoffensif; mais, au même instant, il admet le « Manue1er de M. Bert parmi les livres recommandés aux instituteurs de France.

Au fond, c’est la même politique qui règne depuis quelques années, ce que M. Clemenceau a appelé l’autre jour un système « d’arbitraire, d’oppression mesquine. » Et qu’en résulte-t-il? C’est là justement le fait lamentable. On n’a réussi qu’à diviser le pays, à susciter par les questions les plus irritantes, par les conflits religieux, l’émotion des consciences. C’était, en vérité, bien prendre son temps pour pratiquer cette triste politique de division : on a choisi le moment où, dans l’intérêt national, pour le bien et l’honneur du pays, le premier besoin aurait été l’union des volontés sincères et des patriotismes.

Il est une autre question d’une nature bien différente qui n’intéresse pas moins le pays et que la politique républicaine a traitée avec la même imprévoyance, c’est cette question financière qui se débat aujourd’hui devant la chambre des députés à propos du budget. C’est désormais un fait évident et devenu même inquiétant, que les finances publiques sont pour le moment dans des conditions assez critiques. Que le pays reste assez riche pour payer jusqu’à ses fautes ou ses complaisances et qu’il ait en lui-même une vitalité non pas inépuisable, mais toujours féconde, on ne le met pas en doute. Le malheur est précisément qu’il y ait eu une politique abusant de cette vitalité et de ces richesses du pays, assez imprévoyante pour compromettre par les prodigalités, par les expériences hasardeuses une situation financière qui, il y a quelques années encore, pouvait passer pour florissante. Assurément, lorsqu’on observe que les recettes de l’état n’ont cessé de se soutenir et même de se développer, quoique avec plus de mesure depuis quelque temps, qu’elles offrent par leur élasticité une ressource suffisante pour subvenir à bien des nécessités imprévues de l’avenir, on dit vrai jusqu’à un certain point; mais on ne dit qu’une partie de la vérité. Ce qui n’est pas moins évident, c’est que, si les recettes s’accroissent régulièrement, les dépenses se sont développées bien plus encore et ont, pour ainsi dire, pris la course avec une sorte de vélocité redoutable. M. de Freycinet évaluait, l’autre jour, devant le sénat à 400 millions le chiffre de l’augmentation des dépenses depuis 1878. A vrai dire, on a dépensé sans compter, on a voté des augmentations de traitemens, des pensions, des subventions pour les écoles. On ne s’est pas contenté d’introduire dans le budget ordinaire toute sorte de dépenses nouvelles, on a, en même temps, emprunté pour des travaux extraordinaires, on a autorisé, on a poussé les départemens et les communes à emprunter à leur tour; on s’est engagé, en un mot, sous toutes les formes, on a forcé tous les ressorts. Qu’en est-il résulté? Le jour est venu où l’on a senti qu’on ne pouvait aller plus loin, où l’on s’est aperçu qu’avec ces travaux démesurés soldés sur un budget d’emprunt