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nationale, d’y trouver des députations entières, composées de dix à douze individus dont pas un n’a laissé un souvenir dans la mémoire des hommes. » Mais l’étonnement redouble si l’on fait attention que ce sont eux pourtant, eux surtout, ces inconnus et ces comparses, dont l’histoire contient, pour ainsi dire, le secret même de la terreur. Si grande, en effet, que puisse être la lâcheté des hommes et quel que soit, dans une assemblée comme la convention, le pouvoir des volontés fortes pour entraîner les majorités, c’est à la condition que ces volontés elles-mêmes agissent dans le sens des majorités et qu’elles donnent bien plutôt une expression à leurs vœux qu’une direction à leurs désirs. Les Danton et les Robespierre ne sont pas seuls coupables de l’institution du tribunal révolutionnaire ou du régime de la terreur; s’ils eussent pu manquer à leurs œuvres, d’autres qu’eux les y eussent assurément remplacés; et quoi qu’ils aient fait enfin, ils ne l’ont fait qu’avec la complicité de leurs sectaires, da parti montagnard, de la convention presque entière.


C’est pourquoi, toutes les fois qu’un consciencieux biographe essaie de remettre en lumière quelqu’un de ces terroristes obscurs, de ceux dont le nom s’est évanoui sans laisser de traces, ou de ceux qui ne doivent leur peu de notoriété qu’à l’éclat du seul jour de leur proscription ou de leur mort, on peut dire avec vérité qu’il rend un inappréciable service à cette histoire de la révolution, si souvent faite, à ce qu’il semble, et cependant toujours à faire. Tel est le livre très curieux que M. Marc de Vissac vient de consacrer à Romme le montagnard. On y pourrait relever quelques erreurs; j’en retrancherais volontiers plus d’un détail inutile ; il est écrit surtout d’un style étrangement emphatique; ce n’en est pas moins, après cela, de ces livres où l’on apprend à connaître les vrais moteurs des évènemens, parce que l’on y saisit les vrais mobiles des hommes qui les ont plus ou moins dirigés. Quelque abondance qu’il y ait depuis plusieurs années de ces sortes d’ouvrages, — biographies ou histoires provinciales, — bien loin de nous en plaindre, nous souhaiterions donc qu’il y en eût encore davantage. Car ils seront un jour la substance de cette histoire dont le Moniteur ne nous a conservé que la trame chronologique, et, en attendant, s’il y a des lectures plus intéressantes ou qui montrent l’humanité moins laide, il n’y en a guère de plus instructives.

Le livre de M. de Vissac a d’ailleurs son intérêt historique très précis. Romme, si l’on s’en souvient, député du Puy-de-Dôme à la convention nationale, est l’un des vaincus ou l’une des victimes de cette insurrection du 1er prairial an III. dont l’assassinat du député Féraud et le calme héroïsme de Boissy d’Anglas ont particulièrement immortalisé le souvenir. Je dis particulièrement; je devrais dire uniquement ;