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traitent les libéraux modérés de doctrinaires, et les modérés, à leur tour, les traitent d’intransigeans. Les radicaux belges ne sont pas nombreux, mais ils sont remuans et bruyans. On sait qu’en Belgique les partis se serrent de très près, qu’il suffît du déplacement de quelques voix pour mettre un cabinet en minorité. Les radicaux ont déjà failli renverser le ministère libéral. Aux reproches qu’on leur en fait, ils répondent qu’ils ont été trop accommodans, que désormais les principes leur seront plus chers que les hommes, et pour prouver leur attachement aux principes, ils ne demandent pas seulement la révision de l’article 47, ils réclament à cor et à cri le suffrage universel.

Les libéraux modérés sont fermement persuadés que le suffrage universel assurerait à jamais la victoire de l’église et que M. Malou et ses amis en seraient les plus zélés partisans, si ces catholiques discrets ne craignaient de tomber sous la coupe des énergumènes et des fanatiques. Un économiste belge du plus grand mérite. M. de LaveIeye, rappelait tout récemment que Gambetta lui avait dit un jour : « N’adoptez pas chez vous le suffrage universel, il vous livrerait au clergé. » Les radicaux répliquent que ces solennelles prédictions sont de vrais épouvantails à chènevières dont ils ne sont pas les dupes, qu’on a rendu le clergé redoutable par les ménagemens dont on use envers lui, qu’ils se chargent de le mettre à la raison, d’exorciser ce fantôme « en un tour de main. » C’est leur mot, et depuis lors, on les appelle «les politiques du tour de main. »

Tout porte à croire que les radicaux s’abusent. La Belgique n’est pas la France. Chez nous, le paysan fait tout dater de 89 ; c’est pour lui le commencement de l’histoire et de son bonheur. Le paysan belge, à qui les souvenirs d’invasion ne plaisent guère, place volontiers l’âge d’or avant 89, il regrette parfois l’ancien régime, il se représente que, du temps de Marie-Thérèse, l’impôt était moins dur, que le grain se vendait plus cher. Dans beaucoup de nos provinces, les pratiquans sont une exception ; dans les campagnes belges, ce sont les non-pratiquans qu’il serait aisé de compter. Il y a bien paru dans la crise que provoqua la nouvelle loi scolaire. Les évêques avaient résolu d’appliquer les grands moyens. En vain le saint-père leur donna-t-il des conseils de prudence. Ils connaissaient leur pays, ils savaient ce qu’ils pouvaient oser, ils poussèrent hardiment leur pointe. Ils avaient frappé d’anathème l’école neutre, et d’un bout du royaume à l’autre, ils trouvèrent de l’argent pour ouvrir partout des écoles libres. Nombre de parens hésitaient dans leur choix; on les réduisit à leur devoir par la menace du refus des sacremens. Cette campagne a été brillamment conduite; dans beaucoup d’endroits, l’école confessionnelle regorge d’élèves, l’autre est déserte. En France, c’est l’administration civile qui, au grand scandale du clergé, a fait disparaître ce qu’elle appelait le mobilier religieux; chez nos voisins, c’est le bourgmestre