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Quoique les Belges aient lieu de se déclarer satisfaits de leur condition présente, une sorte de fatalité les condamne à introduire dans leurs institutions des changemens dont il est difficile de calculer les conséquences. Ils sont trop avisés pour ne pas sentir que le système du suffrage restreint peut seul donner une assiette solide à une monarchie parlementaire et qu’il faut renoncer à faire vivre ensemble la royauté et le dogme de la souveraineté du peuple. On doit rendre aux cent mille électeurs censitaires qui ont eu voix au chapitre jusqu’à ce jour la justice que, dans toutes les occasions importantes, ils ont fait preuve d’instinct politique. Les mandataires sur qui se portait leur choix se sont toujours acquittés convenablement de leurs fonctions. On leur reproche cependant de représenter une classe à l’exclusion des autres, de ne prendre à cœur que les intérêts bourgeois. Après avoir loué leurs vertus, un écrivain belge les accusait dernièrement de faire trop peu de chose pour les classes souffrantes, de s’occuper trop d’eux-mêmes, de n’avoir assaini les villes que par peur des épidémies, favorisé l’instruction publique que par peur du clergé, travaillé à la prospérité du pays que pour emplir leurs caisses, encouragé les arts que dans la limite où ils leur servent à embellir leur demeure.

Ces accusations fussent-elles sans fondement, la démocratie, qui envahit tout, oblige la Belgique à compter avec elle. Comme l’écrivait l’autre jour un éminent penseur, M. Edmond Scherer, « la démocratie n’est pas une théorie ni une institution qu’on établit et qu’on renverse, c’est un état de la société sorti de l’histoire des peuples et de la nature des choses, la conséquence d’un développement industriel et intellectuel qui, en donnant aux masses la conscience de leur force, leur a appris en même temps à s’en servir. » Elie est en train de faire le tour du monde, elle passera certainement par Bruxelles. Les catholiques comme les libéraux sentent la nécessité de lui faire des concessions. Les premiers sont disposés à abaisser le cens électoral; les autres appliqueraient volontiers à la chambre des représentans la réforme adoptée pour les assemblées provinciales, en adjoignant aux électeurs censitaires les capacités démontrées par la fonction, par un diplôme ou par un examen public. A cet effet, il faut réviser l’article 47 de la constitution, et on hésite à réviser une charte à laquelle on n’a pas touché depuis cinquante ans. C’est une arche sainte; elle a le prestige des choses qui ont beaucoup vécu et à qui les années ont imprimé leur patine. Aussi bien n’est-il pas aisé de coudre le neuf avec le vieux. Les constitutions raccommodées n’ont jamais bon air: mieux vaut les refaire que d’y mettre des pièces.

Mais depuis peu, il s’est produit dans le parti libéral, autrefois si uni, si compact, une scission qui peut avoir les conséquences les plus graves. Un groupe de progressistes ou de radicaux réfractaires s’est détaché du gros de l’armée, a résolu de faire bande à part. Ces indisciplinés