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contre les Anversois, qui, dit-on, ne se sont jamais gênés pour qui que ce fût! Ils n’admettent pas que personne s’établisse sur la rive gauche de l’Escaut, qui doit rester place nette, et ils apportent trop peu de soin à réexpédier les marchandises qu’on leur envoie. Il en va de même dans toutes les villes du royaume : on y tient peu de compte des doléances du voisin. Heureusement, le Belge a des qualités qui rachètent ses défauts. S’il a les passions vives, il réfléchit beaucoup, et à son égoïsme municipal il joint un singulier talent pour former de grandes associations politiques. Son intérêt l’isole, les idées générales le groupent et l’encadrent. Dès qu’il s’agit d’affaires d’état ou de religion, il devient bête de société.

Les deux groupes entre lesquels se divise la Belgique ont eu jusqu’aujourd’hui la sagesse de se considérer comme des partis de gouvernement et de ne rien proposer dans leurs manifestes qu’ils ne pussent exécuter au lendemain de la victoire. Les libéraux n’ont jamais oublié qu’ils avaient affaire à un pays où la foi est vive et très répandue. On leur a reproché dernièrement d’avoir trop présumé de leurs forces en sécularisant l’école. Mais ils n’ont eu garde d’en fermer brutalement la porte au clergé, ils lui ont accordé une pleine liberté d’y donner l’enseignement religieux, et on ne saurait les accuser d’intolérance. De leur côté, M. Malou et le Journal de Bruxelles n’oublient pas dans quel siècle ils vivent, et ils sont plus conservateurs que dévots. Leur catholicisme est une religion de bonne compagnie. Ils ont su défendre leur indépendance et leur dignité contre les ingérences maladroites des soudards de sacristie, contre les cagots de bas étage, dont l’étroit cerveau ne comprend rien à la politique. Au surplus, si en revenant aux affaires les chefs de l’opposition catholique voulaient recourir à des mesures extrêmes, le roi ne manquerait pas de les arrêter. On a remarqué qu’en Belgique le souverain laisse à ses ministres libéraux la bride sur le cou, mais qu’il est toujours prêt à recommander la modération et la prudence aux catholiques. S’ils devenaient imprudens, Bruxelles s’agiterait aussitôt, et le roi des Belges n’entend pas qu’on trouble la paix dans les rues de sa capitale, qu’on l’oblige à faire la police avec son armée. Il en résulte que les nouveaux cabinets respectent les lois proposées par leurs prédécesseurs et votées par les chambres. On ne réagit pas violemment, on épargne au pays les oscillations trop brusques; on se contente de recourir aux expédiens pour annuler l’effet de dispositions qui déplaisent ou inquiètent. Si les catholiques arrivaient demain au pouvoir, il est à présumer qu’ils laisseraient subsister la loi scolaire, mais qu’ils auraient soin de pourvoir à ce que les subventions fussent réparties entre les écoles neutres et confessionnelles au prorata du nombre d’élèves qui les fréquentent. Ainsi entendue, cette distribution tournerait sûrement à leur profit.