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large, élevée, dégagée de préjugés; de même notre action extérieure se heurte à deux écueils provenant d’une sorte d’esprit de secte, de fanatisme à rebours qui s’est emparé, dans ces dernières années, du personnel gouvernemental de la France. Le premier de ces écueils est bien connu ; je l’ai signalé longuement ici même, et je n’aurais pas besoin d’y insister aujourd’hui, si je ne tenais encore à donner un ou deux exemples des sottises qu’il nous fait commettre chaque jour. Personne n’ignore avec quel aveuglement nos chambrer refusent de tenir compte du parti que l’on peut tirer de la propagande religieuse pour les progrès de l’œuvre colonisatrice. La plupart de nos députés ne sont pas neutres en religion, ce qui est le devoir de tout homme d’état digne de ce nom : sous prétexte de combattre le cléricalisme, beaucoup d’entre eux ont engagé une guerre acharnée, aveugle, inepte, contre toute entreprise, catholique, qu’elle se produise en France ou à l’étranger. Je n’ai pas le moins du monde l’intention de parler de ce qui se passe en France. Mais, pour l’influence extérieure chez les peuples barbares, et surtout chez les peuples idolâtres, la propagande religieuse est à coup sûr un des moyens d’action les plus énergiques. Tous ceux qui connaissent l’Orient et l’extrême Orient l’affirment; la raison, d’ailleurs, et l’expérience des autres peuples le prouvent. C’est la communauté de religion qui fait que la Russie a une prise sérieuse sur une grande partie des habitans de l’empire turc, et les sociétés bibliques anglaises sont parmi les instrumens les plus efficaces de la politique et du commerce anglais. On a été jusqu’à calculer à Londres ce que chaque missionnaire rapportait à l’industrie nationale. Chez nous, on ne se livre pas à ces calculs. Un des plus grands soucis de certains députés a été d’empêcher les expéditions envoyées au Tonkin de se servir, pour le succès de leurs entreprises, de l’élément catholique, qui est assez nombreux dans ces contrées; quelques-uns ont soutenu que c’étaient les chrétiens qui avaient fait massacrer Francis Garnier, oubliant les massacres épouvantables qu’ils ont subis eux-mêmes après la mort de ce dernier. Mais, pour les besoins de la cause, il fallait que ces chrétiens, qui se sont compromis tellement avec nous qu’après notre départ ils ont été persécutés et assassinés sans miséricorde, se fussent montrés nos pires ennemis ! On ne peut pas non plus rappeler sans tristesse que la chambre a soulevé, l’hiver dernier, un incident grave à propos d’un crédit de 50,000 francs en faveur de M. Lavigerie, le Français peut-être qui a le plus fait pour la civilisation de l’Afrique. On sait qu’il a lancé de hardis missionnaires jusque dans la région des Grands-Lacs et qu’il a fondé des stations permanentes à Ouganda, à Mazausé, à Ujiji et à Taboura. Là, dans ces régions révélées d’hier, où si peu d’Européens ont passé, mais qui