Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un des peuples les plus modernes de l’Europe. Ils n’inventeront aucun système de métaphysique, et d’Ostende à Namur, de Mons à Verviers, on trouverait difficilement chez eux un astrologue se laissant choir au fond d’un puits.

Le danger pour les petits peuples est de vivre si repliés en eux-mêmes qu’ils finissent par se séquestrer du monde et que leur esprit re rapetisse par degrés, comme leurs ambitions et leurs espérances. Il en est qui sentent le renfermé; ce ne sera jamais le cas de la Belgique. Vivre, c’est recevoir et donner; la Belgique reçoit beaucoup et elle a beaucoup à donner. Ouverte à toutes les idées, à toutes les influences du dehors, elle examine, juge, compare, fait son triage et son choix. Elle a cet avantage d’être un petit pays qui parle une grande langue, et une grande langue est une grande patrie qui vient s’ajouter à la petite. D’autre part, la merveilleuse activité de ses industries diverses, lesquelles débordent sans cesse ses frontières, lui assigne un rang élevé sur tous les marchés de la terre. Produisant beaucoup plus qu’elle ne peut consommer, elle doit chercher des débouchés pour son travail dans les régions les plus lointaines. Aussi est-elle obligée de s’intéresser à tout ce qui arrive dans tous les coins de l’univers. Elle ressemble à ce commerçant dont parlait Jean-Jacques, qu’il suffisait de toucher aux Indes pour le faire crier à Paris.

Quiconque passera quelques jours en pays wallon, dans le bassin de la Sambre et de la Meuse, où les Français trouvent une hospitalité aussi grasse que cordiale et charmante, rapportera une vive impression de ce qu’il aura vu. C’est un spectacle grandiose que de contempler, dans les environs de Charleroi et de Marchienne, toutes ces cheminées fumantes, tous ces énormes villages d’usines qui se prolongent indéfiniment sur les deux côtés d’une route et se rejoignent les uns les autres en enjambant tout un réseau de voies ferrées. Les charbonnages touchent aux laminoirs, les laminoirs aux ateliers de construction. Ainsi que les briques des édifices, les rues sont noires de charbon. Dès la tombée de la nuit, les flammes rouges qui sortent des fours à coke et les flammes violettes qui jaillissent des hauts-fourneaux font croire à de vastes incendies. Comme l’a dit un géographe, si la Flandre est le Manchester du continent, la contrée de Mons et de Charleroi en est le Newcastle et Liège le Birmingham. Ces spectacles ne sont goûtés qu’à demi de ceux qui l’aiment que le repos des champs, les prairies et les troupeaux, ils sont d’un intérêt saisissant pour qui pénètre volontiers dans la caverne de Vulcain, dont les machines à vapeur ont singulièrement facilité la besogne. Ce sont elles qui se chargent d’enfler d’air ses soufflets, de faire retomber en cadence ses lourds marteaux.

Le pays de Charleroi possède cinq grandes manufactures de glaces, d’innombrables verreries qui, sous le couvert des marques anglaises,