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où les négociations avec Hertzberg devaient commencer et où un congrès était réuni,

Spielman était porteur d’un mémorandum dont le premier article stipulait que les négociations ne pourraient avoir d’autre point de départ que l’égalité la plus complète entre les deux cours. Ces négociations ne pouvaient donc avoir que deux bases : le statu quo pour les belligérant et à plus forte raison pour les puissances qui n’avaient point pris part à la guerre, — ou bien, d’un côté, Thorn et Dantzig pour la Prusse, mais, pour l’Autriche, un agrandissement équivalent. La Russie restait en dehors des négociations. Spielman arriva à Reichenbach le 26 juin ; le lendemain, les pourparlers commencèrent. Frédéric-Guillaume, à la tête de son armée, toute prête à marcher en attendait impatiemment le résultat. Immédiatement, la difficulté ou plutôt l’impossibilité d’exécuter le dessein de Hertzberg, apparut dans tout son jour. L’Angleterre, en effet, déclara tout d’abord qu’elle ne consentirait pas à la cession d’une seule province turque. Seule, vis-à-vis de l’Autriche et de la Russie, la Prusse dut négocier sur le pied du statu quo. Le 26 juillet, la déclaration fit signée : Hertzberg avait les larmes aux yeux. Le roi de Prusse sortait du congrès avec le beau titre d’arbitre des nations. Le langage d’aujourd’hui est moins noble, M. de Bismarck se contente du titre de « courtier honnête. » Quant à Hertzberg, le piteux échec de son fameux plan lui porta un coup dont il ne se releva pas. Il était difficile, en effet, de mettre en jeu de plus grands moyens pour arriver à un si piètre résultat. Le traité de Reichenbach semblait avoir été conclu en faveur des seuls Turcs, de ces Turcs « ignorans et incorrigibles » que Hertzberg avait si magnanimement pris sous sa protection. Après deux ans d’une guerre en définitive malheureuse, ils se débarrassaient d’un de leurs adversaires sans lui rien laisser entre les mains. Ils étaient libres dès lors de tourner toutes leurs forces contre la Russie, qu’ils eussent probablement battue si leurs généraux avaient été aussi habiles que leurs diplomates. Hertzberg ne se consola pas d’avoir été forcé d’exécuter le traité que Dietz avait signé six mois auparavant à Constantinople, pas plus qu’il ne se consola d’être éloigné des affaires à la suite de cet échec. Il continua toutefois à suivre avec attention, du fond de sa retraite, les péripéties de la politique européenne.

En 1794 lors des derniers partages de la Pologne, il écrivit au roi trois dernières lettres où l’on est surpris de trouver des vues singulièrement justes sur la situation en ce qui concernait la France et la Pologne même. Les projets sont curieux, non moins que les propositions qu’il fait au roi, à qui, d’ailleurs, il ne ménage pas les vérités[1].

  1. Ces trois lettres se trouvent dans un recueil intitulé: Tisons d’Hercule, ou Fragmens pour servir de supplément et de suite aux lettres confidentielles sur les relations intérieures de la cour de Prusse depuis la mort de Frédéric II, (A. Paris, 1808.) Malgré cette dernière mention, l’ouvrage a été imprimé, non pas en France, mais en Allemagne, probablement à Leipzig. Il contient quelques documens très curieux et qu’on ne doit guère trouver ailleurs, par exemple, ces trois lettres de Hertzberg; elles sont accompagnées de la note suivante : « Ces lettres ont été imprimées dans les Archives statistiques de Häberlin, a. 1795, journal peu répandu et tombé dans l’oubli. Elles se trouvent aussi dans la troisième partie des mémoires de Hertzberg, qui a été confisquée. » Toute cette correspondance est en français. On sait que Frédéric-Guillaume II n’employait guère d’autre langue.